L’automne politique à Ottawa

Les membres du cabinet fédéral se tiennent derrière le premier ministre Justin Trudeau lors d'une conférence de presse.
Justin Tang La Presse canadienne Les membres du cabinet fédéral se tiennent derrière le premier ministre Justin Trudeau lors d'une conférence de presse.

La Chambre des communes reprendra vie lundi dans un contexte où le gouvernement Trudeau, constitué d’une nouvelle équipe de ministres, tire de l’arrière dans les sondages et cherche à s’attaquer aux dossiers économiques pressants. Le conflit avec les propriétaires de Facebook ne manquera pas non plus d’occuper Ottawa. Le ton est déjà donné pour une session parlementaire mouvementée.

Plus de logements au Canada

Le prix moyen demandé pour un logement locatif au Canada a atteint un record de 2042 $ cet été. Les premiers ministres Justin Trudeau et François Legault sont tous deux rentrés de vacances en se disant résolus à faire infléchir la crise du logement. Reste maintenant à savoir comment. Selon l’experte en politique du logement et professeure à l’Université d’Ottawa Carolyn Whitzman, le nouveau ministre fédéral du Logement, Sean Fraser, a une lourde tâche à accomplir en peu de temps, vu que des élections fédérales pourraient être déclenchées avant 2025. « Sa priorité devrait être de chercher à réduire l’itinérance et de [s’occuper] des besoins en logement des familles à faible revenu, car la Stratégie nationale sur le logement [lancée en 2017] n’a pas accompli cela », dit-elle d’emblée en entrevue au Devoir. Pendant ce temps, les différents ordres de gouvernement se renvoient la balle. Après avoir lancé l’idée de plafonner le nombre d’étudiants étrangers en août, le premier ministre Trudeau a insinué cette semaine que les villes ne souscrivaient pas assez rapidement à son programme de 4 milliards de dollars pour accélérer la construction de nouveaux logements. Les villes, elles, sont en attente du gouvernement du Québec, lequel est attaqué de toutes parts pour son intérêt tardif à agir dans le dossier. Quant à son projet de loi 31, qui s’attaque aux cessions de bail des locataires, il ne s’attaque pas au coeur du problème. La ministre de l’Habitation du Québec, France-Élaine Duranceau, promet un « plan d’action », mais celui-ci ne devrait pas être déposé avant décembre. Les yeux se tournent dès lors vers le ministre des Finances, Eric Girard, et sa mise à jour économique prévue pour novembre.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Ingérence étrangère et enquête publique

La nébuleuse affaire de l’ingérence chinoise a mis le Parti libéral du Canada (PLC) dans l’embarras ce printemps, et c’est loin d’être terminé. Après la démission du rapporteur spécial David Johnston en juin dernier, le gouvernement Trudeau a finalement trouvé une personne faisant consensus pour diriger l’enquête publique : la juge Marie-Josée Hogue, de la Cour d’appel du Québec. La juge Hogue aura pour tâche d’examiner et d’évaluer l’ingérence de la Chine, de la Russie et d’autres acteurs étatiques ou non étatiques étrangers, ainsi que toutes répercussions potentielles de cette ingérence, afin de confirmer l’intégrité des élections générales de 2019 et de 2021. Une partie de son travail se fera à huis clos, afin qu’elle puisse entendre des témoignages et consulter des documents confidentiels. La nouvelle commissaire travaillera aussi dans des délais serrés : elle doit présenter un premier rapport intermédiaire d’ici le 29 février 2024, puis un rapport final d’ici le 31 décembre 2024. Bien que tous les partis d’opposition aient applaudi à cette nomination, des experts craignent que la juge n’ait pas l’expérience requise pour mener ce mandat sur la sécurité nationale. Ses principaux domaines d’expertise sont le droit des sociétés, les affaires civiles et la responsabilité professionnelle. Le premier ministre a nommé un nouveau ministre sur le dossier : Dominic LeBlanc a reçu le portefeuille de la Sécurité publique à l’issue de l’important remaniement de cet été. La juge Hogue commence son travail le 18 septembre, jour de la rentrée parlementaire à Ottawa. On ne sait pas encore quand les audiences commenceront, ni si de véritables révélations vont émaner de l’exercice.

Éviter de nouveaux arrêts de procédure

 

À peine dix jours avant la rentrée parlementaire, la juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Marie-Anne Paquette, a averti le gouvernement que la présente pénurie de juges accentuait le risque de nouveaux arrêts de procédure. Le gouvernement fédéral et son ministère de la Justice « sont les seuls à détenir la solution », dit-elle. La Cour supérieure a réussi jusqu’ici à respecter le délai de 30 mois pour la tenue d’un procès, soit la période maximale établie par l’arrêt Jordan de la Cour suprême. En cas de dépassement de ce délai, un accusé a le droit de demander l’arrêt des procédures, même dans les affaires de meurtre. La situation a été qualifiée de « crise pour notre système de justice » par le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner, plus tôt cette année. Au début de septembre, on comptait encore 77 postes vacants, sur 1180 (6 %), de juges nommés par le fédéral dans tout le pays, dont 6 au Québec. Cela signifie, tous les mois, de 65 à 70 jours de procès de moins dans la province, selon la juge en chef Paquette. Le dossier repose sur les épaules du nouveau ministre de la Justice, Arif Virani. Ce dernier succède à David Lametti, écarté du cabinet à la suite du remaniement ministériel de cet été, sans que le premier ministre ait vraiment expliqué sa décision. M. Virani, un avocat spécialisé en droits de la personne et en droit constitutionnel, avait alors déclaré qu’il demanderait à son ministère d’agir « rapidement » pour remédier aux postes vacants dans la magistrature. Quelques semaines seulement après être entré en fonction, le nouveau ministre a nommé 14 juges provinciaux et territoriaux. Il a aussi prolongé de deux à trois ans la durée des mandats des membres nouvellement nommés aux comités consultatifs à la magistrature. Cela permettra notamment aux comités d’évaluer un plus grand nombre de dossiers de candidatures. La pénurie étant criante, le ministre originaire de l’Ontario devra continuer d’implanter des mesures au cours de l’automne pour calmer le jeu.

Réduire le prix de l’épicerie

Après avoir vu et entendu tous les partis d’opposition le chauffer sur le thème de l’inflation, le premier ministre Justin Trudeau a fait savoir qu’il avait compris le message, jeudi, au sortir de sa rencontre avec son caucus. Certains de ses députés bouillaient assez pour exprimer leur insatisfaction dans les médias, au moment où leur parti compte huit années au pouvoir dans le compteur. Le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, est chargé de négocier avec les patrons des cinq plus grandes chaînes d’alimentation du pays un plan visant à « stabiliser les prix », sous la menace d’une taxe. Le gouvernement libéral se prépare aussi à faire pleuvoir les ententes avec les municipalités du pays pour « accélérer la construction de logements », fort qu’il est d’un programme de 4 milliards de dollars. Au Québec, cela doit attendre la conclusion d’un accord fédéral-provincial. Entre-temps, les matériaux de construction pour les logements locatifs seront exempts de taxe sur les produits et services (TPS). Le gouvernement pourrait inclure des mesures supplémentaires dans sa mise à jour économique attendue cet automne, à l’image du « rabais pour l’épicerie » offert ce printemps sous forme d’un second chèque de crédit de TPS. Sa marge de manoeuvre reste toutefois mince, entre le péril de l’inflation causée par trop de dépenses des Canadiens et le risque d’un ralentissement économique anticipé par certains experts. Le chef conservateur Pierre Poilievre, à qui les derniers sondages donnent une confortable avance dans les intentions de vote au pays, prône « le gros bon sens » en économie. Il entend par là la mort du prix fédéral sur le carbone (qui ne s’applique pas au Québec) et d’un règlement sur les combustibles propres, qualifié de « taxe Trudeau-Blanchet ».

Faire payer Facebook et Google

 

Google devra décider cet automne s’il va enlever tout le contenu des nouvelles de son moteur de recherche. La voie a déjà été tracée par Meta, qui a purgé ses réseaux sociaux Facebook et Instagram (mais pas encore Threads) de tout article de nouvelles. Même si elle a été adoptée en juin, la Loi sur les nouvelles en ligne n’entrera en vigueur que le 19 décembre 2023. Entre-temps, un réel suspense subsiste quant à son utilité réelle, puisqu’elle a braqué les deux principaux acteurs du marché publicitaire sur Internet au Canada, Google et Meta, au point où aucun des deux n’a confirmé qu’il jouerait selon les nouvelles règles du jeu. Meta a décidé de retirer dès maintenant la possibilité à ses usagers canadiens de publier des nouvelles sur leur fil, une décision qu’elle dit définitive. Les gouvernements canadien et québécois, des municipalités, des médias et des groupes de pression se sont lancés dans des campagnes de boycottage. Avec le soutien du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique (NPD), le gouvernement libéral a fait adopter le projet de loi C-18 avec l’objectif de forcer Meta et Google à signer des chèques totalisant 4 % de leurs revenus annuels, multiplié par la part de l’économie canadienne dans le monde. Le premier ministre Justin Trudeau a décidé cet été de changer de ministre du Patrimoine, au beau milieu de l’opération. La syndicaliste québécoise Pascale St-Onge, ex-ministre des Sports ayant géré les scandales à Hockey Canada, entre en scène. Celle-ci a indiqué au Devoir qu’elle croyait toujours à un dénouement heureux. Dans les coulisses, des responsables gouvernementaux craignent que ne perdure le blocage des nouvelles par Meta, alors qu’il n’a duré qu’une semaine en Australie après le passage d’une loi similaire. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes lancera ses propres consultations publiques cet automne quant à son rôle d’arbitre, et de superviseur des négociations, entre les plateformes et les médias.

Verdir la production pétrolière et gazière

 

Au fédéral, la session parlementaire d’automne commencera au beau milieu de la tenue du « Congrès mondial du pétrole » dans l’ouest du pays, et en l’absence du premier ministre Justin Trudeau, qui sera quant à lui à New York pour parler de climat devant l’Assemblée générale des Nations unies. Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, a promis qu’il plafonnerait les émissions du secteur du pétrole et du gaz d’ici à la fin de l’année, comme cela a été annoncé lors de la dernière campagne électorale. Cette mesure est attendue de pied ferme par les militants écologistes. Ceux qui voient le verre à moitié plein se sont réjouis que les émissions de gaz à effet de serre (GES) aient diminué en 2021 par rapport à 2019, une preuve, selon le ministre, que le plan climatique fédéral fonctionne. Or, une quantité de carbone similaire a été émise à cause de l’augmentation de la production pétrolière et gazière, une industrie dans le viseur du Bloc québécois pour l’automne. Ottawa ne prévoit pas s’attaquer aux aides fournies à l’industrie pétrolière et gazière par le truchement de sociétés d’État avant 2024, a précisé le ministre de l’Environnement au moment de signer l’arrêt des subventions « inefficaces » aux énergies fossiles cet été. Pour des raisons de définitions, la stratégie ne change rien aux sommes versées actuellement aux entreprises pétrolières. La tarification fédérale sur le carbone, voie choisie par le gouvernement Trudeau pour faire diminuer les GES au Canada, est contestée par le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre. Même si elle ne s’applique pas au Québec, la « taxe » est soulignée sur la marchandise promotionnelle conservatrice. Pendant ce temps, le gouvernement Trudeau a utilisé l’été pour modifier en catimini son calcul des arbres plantés pour pouvoir prétendre qu’il est en bonne voie de remplir sa promesse d’en mettre deux milliards en terre dans la décennie.



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