Le Québec perd plus de médecins de famille qu’il en gagne

C’est du jamais vu : le nombre de médecins de famille exerçant dans le réseau public québécois a connu une décroissance en 2022-2023, selon la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). L’arrivée de nouveaux médecins n’a pas compensé les départs à la retraite, l’exode vers le privé et les déménagements à l’extérieur de la province. Le bilan s’est avéré négatif, pour un total de 49 médecins en moins, signale la FMOQ. Rien pour aider les diverses régions québécoises à renflouer leurs effectifs médicaux.

« C’est significatif d’un malaise profond et d’une planification d’effectifs qui a eu des lacunes, dit le président de la FMOQ, le Dr Marc-André Amyot. Si on en perd 50 chaque année comme ça, ça n’ira pas bien. C’est pas comme ça qu’on va améliorer l’accessibilité pour la population. »

Les médecins de famille prennent leur retraite en grand nombre et à un plus jeune âge. De plus en plus d’omnipraticiens délaissent aussi le réseau public pour travailler au privé. Selon la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), 446 médecins de famille — sur environ 10 300 — avaient un statut de non-participant en juillet dernier, contre 333 en 2018-2019. « C’est pas énorme [en termes de pourcentage du nombre total], dit le Dr Amyot. Mais c’est beaucoup plus que partout ailleurs au Canada. »

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C’est le nombre de médecins de famille en moins au Québec en 2022-2023, selon la FMOQ.

Selon lui, il faut améliorer les conditions de travail des médecins de famille pour qu’ils exercent au sein du réseau et restent au Québec. Les omnipraticiens ont besoin, précise-t-il, d’obtenir du « soutien » pour leurs patients nécessitant, par exemple, des services en santé mentale. Leurs tâches administratives doivent être réduites et leur rémunération, augmentée, indique-t-il. « C’est tabou, mais il y a un écart de rémunération entre les médecins de famille du Québec et [ceux du] reste du Canada », affirme le Dr Amyot.

Au cabinet du ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, on fait valoir que le nombre d’admissions en médecine a augmenté depuis l’arrivée de la Coalition avenir Québec au pouvoir, en 2018. En 2023-2024, 1043 étudiants ont été admis. Ce chiffre passera à 1225 par année en 2026-2027, « soit 660 de plus en quatre ans, comme [ce à quoi] on s’était engagé », précise-t-on.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ajoute que la façon de répartir les postes et de les offrir aux nouveaux médecins à l’échelle du Québec a été assouplie cette année. Désormais, les finissants pourront postuler dans plus d’une région, et non une seule comme c’était le cas avant. Les postes seront annoncés dans les prochains jours.

Concurrence vive

 

Avec la pénurie actuelle, la concurrence est vive pour le recrutement des jeunes médecins. Et pas qu’entre les régions québécoises. « On avait une candidate qui avait un poste à Verdun et qui devait commencer cet automne, et elle a choisi de partir au privé », affirme la Dre Ariane Murray, cheffe du Département régional de médecine générale de Montréal.

Les cliniques médicales privées Lacroix disent avoir recruté quatre médecins de famille grâce à la Journée carrière de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) tenue l’année dernière. L’entreprise n’a toutefois pas pu participer à l’événement 2023, qui a attiré près de 900 résidents vendredi dernier. Les cliniques offrant des services hors RAMQ n’ont pas été invitées.

Une situation que dénonce le président du Groupe médical Lacroix, le Dr Marc Lacroix. « On juge discriminatoire d’être privés de pouvoir participer à l’événement tel que nous le faisons depuis plus de 10 ans. C’est malheureusement une des seules opportunités de faire connaître la médecine privée aux finissants en médecine, qui apprécient énormément notre présence à l’événement. »

La FMRQ dit avoir pris cette décision après que le MSSS le lui a demandé. « C’est notre plus gros exposant, on a acquiescé à sa demande », explique son président, le Dr Cédric Lacombe. Le MSSS affirme pour sa part avoir « exprimé son malaise auprès de la FMRQ vu la place accordée au privé lors de la Journée l’année dernière ». « Cela dit, il a toujours été clair que la décision finale revenait à la FMRQ », écrit-on dans un courriel.

Le chef du Département régional de médecine générale de l’Outaouais, le Dr Marcel Guilbault, estime que les établissements d’autres provinces, comme l’Ontario, ne devraient pas se trouver à l’événement. Ils étaient présents vendredi dernier. « C’est quand même des Québécois qui payent une grande partie des formations de ces médecins-là, dit-il. Je ne vois pas pourquoi les autres provinces viendraient piger chez nous comme ça et montrer leur attrait. » La Dre Murray partage ce « malaise ». « On doit tout faire pour favoriser le réseau public québécois », ajoute-t-elle.

Le MSSS ne voit pas les choses de la même façon, faisant valoir l’argument de la « réciprocité » entre les provinces. « Le Québec souhaite être invité aux activités des autres provinces, précise-t-on. Nous reconnaissons également que le Nouveau-Brunswick est dans une situation particulière, car il paye pour faire former des médecins au Québec. »

La FMRQ croit que c’est aux régions et aux divers établissements « d’avoir une offre attractive pour les médecins résidents ». « Nous, à la FMRQ, on est là pour offrir ce qu’il y a de mieux pour les médecins résidents et résidentes, dit le Dr Lacombe. Après ça, on va laisser les régions, les différentes provinces faire leur travail pour avoir des candidats qui vont être à la hauteur de leurs attentes. »

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