25 millions de barils de pétrole chaque jour dans un monde «carboneutre», admet Guilbeault

Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, promet que le projet de plafonnement des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie pétrolière et gazière sera adopté à l’automne 2024.
Sean Kilpatrick La Presse canadienne Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, promet que le projet de plafonnement des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie pétrolière et gazière sera adopté à l’automne 2024.

Même si elle parvient à atteindre la « carboneutralité », essentielle d’ici 2050 pour limiter les dérèglements du climat, l’humanité consommera 25 millions de barils de pétrole par jour, affirme le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, en entrevue avec Le Devoir. Le gouvernement Trudeau promet cependant d’imposer à l’automne 2024 un plafond d’émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’industrie canadienne des énergies fossiles.

Dans le cadre d’un entretien accordé dans le contexte du Sommet sur l’ambition climatique qui se tient mercredi à New York, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique a indiqué que le « projet de règlement final » sur le plafonnement et la réduction des émissions de GES du secteur pétrolier et gazier sera déposé avant la prochaine conférence climatique des Nations unies, la COP28, prévue en décembre.

Le ministre Guilbeault prévoit en outre que ce règlement, qui vise à freiner la croissance continue des émissions issues de la production d’énergies fossiles au Canada, sera « adopté », et donc en vigueur, au plus tard à l’automne 2024. Selon Ottawa, il réduira les émissions des secteurs pétrolier et gazier au rythme et à l’échelle nécessaires pour permettre l’atteinte des objectifs climatiques de 2030, puis des émissions nettes nulles d’ici à 2050. Il ne concerne que les émissions en territoire canadien, ce qui exclut celles émanant de la combustion des ressources exportées.

Production

 

Est-ce que ce règlement signifie que l’industrie, qui prévoit une croissance de production de pétrole et de gaz naturel au cours des prochaines années, devra au contraire réduire l’exploitation ? « Les pétrolières devront répondre à cette question », indique Steven Guilbeault, en rappelant que l’exploitation des ressources naturelles est une compétence provinciale. Des provinces comme l’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador souhaitent d’ailleurs faire croître leur production.

Mais le message du gouvernement Trudeau est clair : les objectifs climatiques liés à cette réglementation sur les émissions de l’industrie la plus polluante au pays devront être respectés. « Comment les compagnies vont s’y prendre ? On ne dit pas aux compagnies comment elles doivent le faire. On présente les objectifs et vous devez voir comment vous allez les atteindre », fait valoir le ministre. « On travaille à plafonner et réduire la pollution, pour que le secteur du pétrole et du gaz fasse sa juste part en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre au Canada », ajoute-t-il.

Lors d’une allocution livrée dans le cadre du Sommet sur l’ambition climatique, à l’ONU, mercredi matin, M. Trudeau a d’ailleurs déclaré que le Canada ferait mieux que de réduire les émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier de 75 % d’ici 2030.

25 millions de barils

Steven Guilbeault réfute par ailleurs l’idée d’une croissance internationale de la consommation d’énergies fossiles au cours des prochaines années, une idée réitérée cette semaine par certaines entreprises du secteur réunies à Calgary dans le cadre du Congrès mondial du pétrole.

Le ministre reprend toutefois des éléments du discours prononcé par son collègue de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson. Ce dernier a affirmé cette semaine à la tribune du Congrès mondial du pétrole que l’humanité consommerait environ 25 millions de barils de pétrole chaque jour en 2050, et ce, malgré l’objectif d’atteindre la « carboneutralité » afin d’éviter le naufrage du climat planétaire.

Selon le ministre Wilkinson, cette consommation sera surtout le fait de procédés qui n’impliquent pas la combustion du pétrole, notamment dans la fabrication d’asphalte, de lubrifiants et de solvants.

« Nous avons deux options : soit on prend la menace climatique au sérieux et on travaille pour limiter l’augmentation des températures à 2 °C, voire à 1,5 °C. Ça veut dire qu’on passe d’un monde où on consomme 100 millions de barils par jour à un monde où on en consomme 25 millions de barils. Ou on peut ignorer la science et payer une facture qui sera de plus en plus élevée, en matière d’impacts humains, environnementaux et économiques », fait valoir Steven Guilbeault.

Pour le moment, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit que le réchauffement dépassera les 2 °C d’ici 2050, entraînant notamment une multiplication des épisodes de sécheresse, une baisse de la production agricole, en plus de migrations. L’état de santé et de bien-être serait ainsi réduit, alors que « les niveaux de pauvreté et d’inégalités augmentent considérablement ».

Selon ce scénario, la perte d’écosystèmes serait très difficile à freiner. Les récifs de corail du monde, par exemple, seraient « éliminés », tandis que les forêts tropicales seraient « sévèrement endommagées ». Le rythme global d’extinction d’espèces augmenterait par ailleurs considérablement.

« Portes de l’enfer »

Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a profité mercredi de la tribune du Sommet sur l’ambition climatique, à New York, pour mettre en garde la communauté internationale sur les conséquences du manque d’ambition climatique et de notre dépendance aux énergies fossiles. Cette dernière a littéralement « ouvert les portes de l’enfer », a-t-il laissé tomber.

Évoquant les « chaleurs terribles » et les « incendies historiques » de cette année, alimentés par des émissions de gaz à effet de serre toujours croissantes, il a cependant souligné qu’il n’était pas trop tard « pour limiter la hausse des températures mondiales à 1,5 °C », un seuil qui risque toutefois d’être franchi d’ici 10 ans. « L’avenir n’est pas écrit : c’est à vous, les dirigeants, de l’écrire », a-t-il prévenu.

Plusieurs dirigeants ont pris la parole mercredi à la tribune du Sommet sur l’ambition climatique, dont des États insulaires redoutant la montée du niveau des océans et des pays en développement réclamant davantage de financement pour la transition énergétique et l’adaptation. Le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, a été chaleureusement applaudi après avoir accusé directement l’industrie des énergies fossiles d’être responsable de la crise climatique qui menace l’avenir de l’humanité.

Ce rendez-vous comportait cependant quelques absents de marque, en particulier les deux plus gros émetteurs de GES : les États-Unis, même si le président Joe Biden était à New York, et la Chine, dont le président n’a pas fait le déplacement à l’Assemblée générale annuelle. Ces deux pays représentent à eux seuls plus de 40 % des émissions mondiales.



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