La Loi sur les nouvelles en ligne en sept questions

Google et Meta ont tous les deux mené cette année des tests pour limiter l’apparition des nouvelles auprès d’une petite partie de leurs usagers canadiens.
Olivier Zuida archives Le Devoir Google et Meta ont tous les deux mené cette année des tests pour limiter l’apparition des nouvelles auprès d’une petite partie de leurs usagers canadiens.

La Loi sur les nouvelles en ligne, mieux connue sous son numéro de projet de loi — C-18 —, soulève bien des interrogations. Voici quelques éléments de réponse pour vous aider à comprendre ce qui se passe en ce moment dans le monde canadien de l’information.

Quelles sont les dispositions de la Loi ?

La Loi sur les nouvelles en ligne a été conçue avant tout pour forcer Google (Alphabet) et Facebook (Meta) à négocier dès cette année une juste compensation avec les médias canadiens. Si aucune entente satisfaisante aux yeux d’Ottawa ne survient, l’ensemble des dispositions de la Loi retombera sur les épaules de ces plateformes avant la fin de l’année. Chaque média pourrait à ce moment les obliger à se présenter devant un arbitre qui déterminera la juste compensation à offrir.

C’est le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) qui a le rôle de trancher si Google et Facebook financent suffisamment de médias pour être exemptés du risque d’arbitrage. Il a aussi le pouvoir de les punir en cas de violation, pour un maximum de 15 millions de dollars.

Quand le retrait des nouvelles sur Google et sur les plateformes de Meta entrera-t-il en vigueur ?

Le moment exact à partir duquel les plateformes comptent exclure les liens vers les sites de nouvelles au pays n’est pas connu. Google et Meta ont tous les deux mené cette année des tests pour limiter l’apparition des nouvelles auprès d’une petite partie de leurs usagers canadiens. Ces tests sont toujours en cours sur Facebook, qui prévoit toutefois mettre fin à la disponibilité des nouvelles au pays « dans les semaines à venir ». Entretemps, les liens vers des articles de nouvelles pourront être partagés normalement.

Pour sa part, Google a indiqué qu’il n’a pas l’intention de bloquer les contenus des entreprises médiatiques canadiennes sur ses plateformes tant que la Loi ne sera pas officiellement en vigueur. La pleine entrée en vigueur de la Loi est prévue au plus tard 180 jours après la sanction royale du projet de loi C-18, soit le 19 décembre prochain.

Comment sera-t-il désormais possible d’accéder aux contenus de nouvelles canadiens ?

La façon la plus simple d’accéder aux nouvelles produites par les organisations médiatiques canadiennes est de se les procurer directement.

Le plus simple est de vous abonner directement aux publications de votre choix, une façon efficace de demeurer informé sans dépendre des géants du numérique, ce que la Loi aurait aussi pu encourager. Sur Internet, cela se fait en visitant le site Web des publications qui vous intéressent, voire en acceptant de recevoir des alertes sur votre navigateur Web.

Plusieurs médias, y compris Le Devoir, proposent aussi, sur une base quotidienne, hebdomadaire ou autre, des infolettres qui permettent de consulter leurs nouvelles à partir de votre boîte courriel.

La même façon de consommer de l’information vaut pour les appareils mobiles, où il est aussi possible pour ceux qui le préfèrent de télécharger sur leur appareil les applications offertes directement par les médias pour consulter leur contenu dans cet environnement, plutôt que de passer par un réseau social.

Pourquoi ces géants du Web devraient-ils partager leurs revenus ?

Le gouvernement Trudeau a choisi de faire passer à la caisse les plus grosses plateformes du Web, qui sont actuellement Google et Facebook. Les entreprises qui les détiennent s’approprient près de 80 % des revenus publicitaires sur Internet et tirent avantage d’un « déséquilibre » du pouvoir de négociation avec les médias, selon Ottawa.

Seules les entreprises dominantes du marché des réseaux sociaux et de la recherche en ligne sont visées par la loi, ce qui exclut des géants technos comme Apple et Microsoft, même si leurs plateformes partagent elles aussi des nouvelles provenant des médias canadiens

 

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, considère que Google et Facebook profitent du partage des contenus créés à fort prix par les médias canadiens « sans avoir à vraiment payer pour », au moment où un grand nombre de ces médias souffrent de difficultés financières.

Les plateformes sont d’un autre avis. Tant Facebook que Google ont fait valoir aux parlementaires qu’elles ont conclu des ententes avec plusieurs médias triés sur le volet, dont Le Devoir. Ces ententes sont désormais compromises. Google a chiffré à 250 millions de dollars la valeur des quelque 3,6 milliards de clics envoyés par son moteur de recherche vers des sites de nouvelles canadiens en une année.

Quelles seront les conséquences sur les médias canadiens du retrait des nouvelles de Meta et de Google ?

Les entreprises médiatiques touchées par les mesures mises de l’avant par Google et Meta pourraient perdre une bonne partie de leur visibilité en ligne. Meta ne partagera plus son contenu sur ses plateformes, dont Facebook et Instagram, alors que Google retirera toute forme de lien qui mène à leurs sites, que ce soit dans Google News ou dans les résultats de son moteur de recherche.

L’impact de ces mesures variera d’un média à l’autre. De façon générale, on estime au minimum à 20 % — et parfois jusqu’à plus de 60 % — la part des visiteurs sur les sites d’information au Canada qui proviennent d’une recherche sur Google. Entre 15 et 20 % de ces visites proviennent d’un lien partagé sur les réseaux sociaux. Une baisse de trafic se traduira par une réduction des revenus publicitaires des éditeurs, puisqu’ils sont calculés en fonction de l’achalandage.

De plus, plusieurs organes de presse avec qui Meta et Google avaient déjà conclu des ententes, dont Le Devoir, ont annoncé que ces partenariats étaient désormais compromis. Ces pertes financières directes pour les médias sont difficiles à chiffrer, puisque les montants de ces contrats sont gardés confidentiels.

Comment mon expérience de navigation sur Facebook et Instagram sera-t-elle influencée par le retrait des nouvelles ?

On ne connaît pas encore la liste officielle des entreprises médiatiques pour lesquelles les dispositions de la Loi seront applicables. Ce sera au CRTC d’établir cette liste. Meta et Google disent se fier à la définition des médias contenue dans la Loi, définition perçue comme extrêmement large.

La Loi stipule que les médias entrent dans son champ d’application s’ils ont pour mission principale de rendre compte de tout enjeu ou événement actuel d’intérêt public, l’explique ou fait suite à une enquête sur cet enjeu ou événement.

Du côté des plateformes, on illustre cette définition en disant que toute organisation médiatique établie au Canada et dont le lectorat ou l’auditoire est aussi situé au Canada pourrait être bloquée. Des nouvelles provenant de médias étrangers devraient continuer d’être publiées et partagées. Inversement, il n’est pas impossible que du contenu partagé sur les réseaux par des médias canadiens ou les résultats de recherches d’internautes hors du Canada apparaissent dans le fil d’actualité.

Autrement dit, les mesures de blocage considérées devraient chasser les contenus provenant d’entreprises médiatiques légitimes, alors que les contenus publicitaires, les contenus à caractère viral, les contenus de désinformation, entre autres, apparaîtront en plus grand nombre sur le fil des internautes canadiens.

La décision de Google et de Meta de retirer les nouvelles des médias canadiens de leurs plateformes est-elle finale ?

Non. En fait, il existe une possibilité que la menace ne soit jamais mise à exécution. Ou si elle l’est, elle ne pourrait durer qu’un temps. Du côté de l’Australie, en 2021, les internautes ont brièvement vu les nouvelles disparaître de leur fil Facebook quand le pays a adopté une loi semblable à C-18. Un compromis a finalement donné le droit aux plateformes de se soustraire à la loi en signant des accords commerciaux avec suffisamment de médias, chose que la loi canadienne prévoit déjà.

Du côté de Google, on ajoute qu’il aurait été possible d’éviter tout blocage du contenu médiatique en n’imposant pas cette échéance de six mois, ajoutée par le Sénat en toute fin d’étude du projet de loi. En laissant la chance aux plateformes numériques et aux médias canadiens de négocier une entente de bonne foi, on aurait évité le chaos actuel, dit-on.

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