Exode du personnel des palais, les juges en chef appellent à l’aide

La juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Manon Savard, déplore les « difficultés, sinon [l’]incapacité » à recruter des employés pour les palais de justice.
Catherine Legault Archives Le Devoir La juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Manon Savard, déplore les « difficultés, sinon [l’]incapacité » à recruter des employés pour les palais de justice.

Les postes vacants de juges et le manque « criant » d’employés clés, comme des greffiers, pour faire fonctionner les palais de justice fragilisent tout le système et causent des retards insoutenables pour les citoyens, ont lancé en choeur des juges en chef des tribunaux du Québec.

«  L’heure est grave », a averti la juge en chef de la Cour supérieure, Marie-Anne Paquette.

Lors de leur rendez-vous annuel de la rentrée judiciaire, tous les juges en chef de la province se trouvaient jeudi dans une même salle du palais de justice de Montréal. Certains ont profité de leur tribune pour exprimer leurs vives inquiétudes, et la pénurie de personnel trônait tout en haut de la liste.

 

La juge en chef de la Cour d’appel, Manon Savard, a parlé de « difficultés, sinon d’incapacité » à recruter des employés pour les palais de justice. Selon elle, il est « incontournable » de leur offrir des « conditions salariales améliorées et concurrentielles », faute de quoi ils démissionnent et trouvent des emplois mieux rémunérés. Ce qui fragilise les tribunaux, a-t-elle déploré.

Car les conséquences sur les citoyens sont bien réelles : le traitement de certains dossiers « s’étire en longueur jusqu’à des délais qui dépassent parfois l’entendement », a fait valoir la juge en chef, qui a rappelé que des citoyens en viennent parfois à renoncer à faire valoir leurs droits et à obtenir justice — cela mine la confiance du public envers le système de justice.

Une autre cause de ces retards et de procès reportés dans le temps est le nombre de postes de juges vacants, a pour sa part signalé la juge en chef de la Cour supérieure.

 

Il y en a six à la Cour supérieure. Selon Mme Paquette, cela signifie, tous les mois, 65 à 70 jours de procès en moins. Les citoyens peuvent attendre deux ans avant d’avoir une date de procès en matière civile ou familiale, a-t-elle signalé, que ce soit pour un divorce ou un congédiement illégal. « Bref, la société paie un très fort prix pour ces délais. »

Le ministère fédéral de la Justice et le gouvernement fédéral (qui nomme les juges de la Cour supérieure) sont bien au courant de cette réalité, a-t-elle ajouté : « Ils sont les seuls à détenir la solution. » Tous les juges en chef, « à l’unisson », ont sensibilisé « les plus hautes instances » à la situation des retards, a renchéri la juge en chef Savard.

Délai de 30 mois

 

En matière criminelle, la Cour supérieure a réussi jusqu’à maintenant à respecter le délai de 30 mois pour la tenue d’un procès — la période maximale, décrétée par l’arrêt Jordan de la Cour suprême. Si cette période est dépassée, un accusé peut demander l’arrêt des procédures, même dans des causes de meurtre.

Sauf que « notre capacité n’est pas indéfiniment élastique, a averti la juge en chef Paquette. « À toujours vouloir faire plus avec moins, on finira par en arriver au point où, malgré tous les efforts et toutes les contorsions employées, la Cour supérieure ne pourra plus écarter la possibilité d’arrêts de procédures en 2023-2024. »

Le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, n’était pas présent à Montréal pour la rentrée judiciaire, mais avait enregistré une vidéo pour l’occasion. Il a fait état des mesures mises en place par son gouvernement pour améliorer l’efficacité du système judiciaire, et rappelé l’entente conclue au printemps avec la Cour du Québec qui prévoit 14 nouveaux postes de juges et l’augmentation du temps passé par les juges à entendre des causes.

À toujours vouloir faire plus avec moins, on finira par en arriver au point où, malgré tous les efforts et toutes les contorsions employées, la Cour supérieure ne pourra plus écarter la possibilité d’arrêts de procédures en 2023-2024.

Il s’est néanmoins dit conscient des défis encore présents, dont celui des délais en matière criminelle, « dont l’augmentation est très inquiétante », et qui « reste au sommet des préoccupations du gouvernement ».

Le ministre a aussi parlé des difficultés d’attraction et de rétention du personnel des palais de justice. Disant savoir qu’il ne peut pas parler de ce défi sans aborder la question de leurs salaires, il a assuré travailler avec le Conseil du trésor dans le but « d’améliorer la situation ».

La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, termine son mandat à la fin d’octobre. Comme dernier discours à la rentrée judiciaire, elle a évité de plonger dans le contentieux sujet des délais en matière criminelle, au coeur de l’un de ses bras de fer avec le ministre Jolin-Barrette. Elle a plutôt choisi de parler de l’indépendance des magistrats, qu’elle voit malmenée par des citoyens qui dénoncent le « gouvernement des juges », une critique qui ne tient pas la route selon elle. Ses derniers mots ont été accueillis par une ovation de la communauté juridique.

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