Les dissensions sur l’identité de genre montent d’un cran

La confrontation entre des opposants à l’enseignement de l’identité de genre à l’école et des défenseurs des droits des personnes LGBTQ+, qui a eu lieu simultanément dans des dizaines de villes du Canada, s’est transposée dans l’arène politique à Ottawa mercredi.

« Maxime Bernier, je vais vous remercier d’être venu, mais le combat n’est pas terminé », a salué l’organisateur de la 1 Million March 4 Children, Kamel El-Cheick, soulignant la présence du chef du Parti populaire du Canada à la manifestation organisée à Ottawa.

L’homme a toutefois martelé que son mouvement n’était « pas partisan », et a invité les politiciens de tous les partis à le rejoindre, comme ils le font chaque année pour les événements de la fierté.

Des milliers de personnes ont répondu à son invitation à marcher dans les rues du pays, mercredi, accueillies par des contre-manifestants. Ils ont dénoncé la « sexualisation prématurée » des enfants et leur présumé « endoctrinement ».


 

En direct de New York, le premier ministre Justin Trudeau a affiché ses couleurs sur les réseaux sociaux, condamnant « cette haine et ses manifestations », tout en envoyant un message aux personnes LGBTQ+ : « vous êtes valables et appréciés ». La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a formulé des commentaires similaires en fin d’après-midi.


 

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, s’est quant à lui directement joint aux contre-manifestants d’Ottawa, avant d’expliquer aux journalistes qu’il comprenait que des jeunes, comme lui-même enfant, peuvent ne pas se sentir en sécurité à la maison.

Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, ne s’est pas présenté à la manifestation mercredi, pas plus qu’il ne s’est rendu disponible pour répondre aux questions des journalistes.

Ses troupes ont même reçu la consigne de ne pas faire de commentaires, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Par ailleurs, un message envoyé à tous les membres du caucus conservateur précise que des éléments de discussion à utiliser dans leurs communications avec leurs électeurs leur seront fournis.

« Je vous le dis, je suis incapable de trancher ça », a pour sa part affirmé le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet. Le politicien bloquiste voudrait qu’on « entende des gens qui ont des opinions différentes, qui ont des compétences solides, qui vont alimenter [sa] réflexion comme législateur ».

Manifestation tendue à Montréal

À Montréal, les manifestants, réunis près des bureaux du premier ministre, François Legault, étaient beaucoup plus nombreux que les défenseurs des droits des personnes transgenres, en fin d’avant-midi.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Plusieurs milliers d’opposants à l’enseignement de l’identité de genre étaient réunis au centre-ville de Montréal.

« [Les enfants] savent juste s’ils sont un garçon ou une fille. Quand ils seront au secondaire, on pourra leur parler de tout ça, mais maintenant, ils sont trop jeunes. Laissez-les seuls ! » a ainsi lancé Diana Alsk, une mère de quatre enfants rencontrée dans une foule de quelques milliers de personnes.

Autour d’elle, de nombreux parents étaient présents avec leurs enfants dans une foule brandissant des drapeaux du Canada et du Québec. « Mes parents savent ce qui est le mieux pour moi », pouvait-on lire sur une affiche, brandie par une jeune fille. « Ne nous imposez pas vos idéologies », martelait une autre.

De l’autre côté d’une ligne formée de quelques dizaines de policiers antiémeutes présents pour éviter des débordements, des drapeaux multicolores étaient brandis par une foule scandant « pas de place pour la haine » à répétition.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir En face, des drapeaux multicolores et d’autres représentant les personnes transgenres étaient brandis par une foule scandant « pas de place pour la haine » à répétition.

« Je veux seulement être libre d’être moi-même et d’exister sans la menace de la haine religieuse ou de sentir ma sécurité être menacée », a lancé James Powell, un manifestant rencontré en fin d’avant-midi. « Protégez la jeunesse trans », lisait une affiche brandie par une foule pacifique. « Aimez les enfants trans », disait une autre.

Je veux seulement être libre d’être moi-même et d’exister sans la menace de la haine religieuse ou de sentir ma sécurité être menacée

La tension est montée à quelques reprises entre des manifestants des deux camps, mais sans prendre la forme d’altercations physiques. Vers 12 h 30, les deux groupes de manifestants ont chacun entamé une marche dans des directions opposées au centre-ville de Montréal.

« Pas de la haine »

À Ottawa, trois personnes ont été arrêtées, dont deux pour incitation à la haine, a indiqué le Service de police de la ville.

En matinée, les deux groupes s’échangeaient des doigts d’honneur de chaque côté de la rue Wellington. Certains manifestants n’ont pas hésité à traverser le cortège policier pour se tenir à quelques centimètres seulement des défenseurs des droits LGBTQ+.

Disant vouloir « trouver un terrain d’entente », Pablo Akl a rapidement été interrompu par une contre-manifestante. « Vous vous rendez compte que ce sont eux qui essaient de nous diviser, qui essaient de politiser qui nous sommes ? » a rétorqué une militante du camp des droits LGBTQ+.

« Ce n’est pas de la haine. On demande simplement de ne pas imposer des idéologies à des enfants », a soutenu une étudiante en soins infirmiers, qui préfère rester anonyme par peur de ne plus « être respectée » par ses amis.

Les manifestants estiment que les enfants sont « trop jeunes » pour être exposés aux identités de genre, mais la plupart peinent à dire s’il y aura un bon moment. « Peut-être quand ils seront adolescents ? » tente de répondre une manifestante.

« Je ne suis pas homophobe, j’ai des gais dans ma famille », clame de son côté Linda Frost. Selon elle, les enfants n’ont pas besoin de l’école pour se poser des questions, car l’homosexualité est ancrée « dans la société. Il y a un défilé, un mois de la fierté, c’est presque la fierté toute l’année », dit-elle, se demandant ce qu’il en est de la représentation des hétérosexuels.

Photo: Patrick Doyle La Presse canadienne À Ottawa, l’ambiance était tendue devant le parlement.

« Quand tu es enfant, c’est le moment de découvrir qui tu es, répond Wendy De Wolf, qui était dans le camp des défenseurs des droits des personnes LGBTQ+ . Des enfants ont peur de faire leur coming out à la maison. L’école est donc un espace sécuritaire pour eux. »

Malgré le plus faible nombre de contre-manifestants, l’événement a été qualifié de « succès » par Chantal Sundaram, de Solidarité communautaire Ottawa, pour contrer « la montée de l’extrême droite, qui instrumentalise cet enjeu ».

Avec La Presse canadienne

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