Quand les villes montent le ton

Lors des dernières élections municipales, en 2021, nous avons assisté à l’émergence d’une nouvelle génération de maires et de mairesses préoccupés par la lutte contre les changements climatiques, la justice sociale et l’autonomie municipale. Ils conçoivent les villes comme un troisième ordre de gouvernement à part entière et revendiquent avec assurance les leviers fiscaux de leurs ambitions.

Cette communauté de pensée a débouché jeudi sur la naissance d’un front commun du Caucus des grandes villes de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), afin de bâtir un rapport de force avec le gouvernement Legault dans les négociations entourant le renouvellement du pacte fiscal. Les 11 plus grandes villes du Québec (Montréal, Québec, Laval, Gatineau, Longueuil, Sherbrooke, Lévis, Saguenay, Trois-Rivières, Terrebonne et Saint-Jean-sur-Richelieu) parleront d’une même voix dans l’espoir d’obtenir des sources de financement diversifiées et pérennes de la part du gouvernement Legault.

Il n’y a qu’à jeter un oeil aux nouvelles pour se convaincre que le fardeau des grandes villes a changé du tout au tout. Aux responsabilités traditionnelles telles que le déneigement, la gestion des eaux, la collecte des ordures, l’entretien des routes, la sécurité publique et d’autres services de proximité se sont ajoutés des défis à la pelle. L’itinérance, la pénurie de logements, les perturbations climatiques et la relance des centres-villes et du transport collectif après la pandémie constituent autant de phénomènes qui se passent dans la cour des villes. Les membres du front commun en appellent à une réinvention de la fiscalité municipale pour être en mesure d’assumer de nouvelles responsabilités qui tombent parfois dans un vide entre Québec, Ottawa et les villes.

Le gouvernement Legault en a fait beaucoup, plus que jamais même, dans le cadre du dernier pacte fiscal, assorti d’une enveloppe de 7 milliards de dollars sur cinq ans, de 2020 à 2024. Québec a alors transféré l’équivalent de la croissance des revenus produits par un point de la TVQ aux municipalités afin de diminuer leur dépendance à l’impôt foncier. Les taxes foncières, un accélérant sur le brasier de l’étalement urbain, représentent encore 65 % des revenus totaux des municipalités.

Le Caucus des grandes villes de l’UMQ, présidé par la mairesse de Montréal, Valérie Plante, milite pour une diversification accrue de l’assiette fiscale, sans avoir chiffré ses demandes pour le moment. Les négociations à venir ne seront pas simples. Le premier ministre, François Legault, a fermé la porte à une hausse des transferts aux villes. « J’ai déjà expliqué à Mme Plante qu’il n’y avait pas de marge de manoeuvre à Québec pour l’instant », a-t-il dit, réitérant l’importance de respecter « la capacité de payer » de l’État.

La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a renchéri en rappelant que les villes avaient obtenu plus de pouvoirs depuis 2018, dont la possibilité de prélever directement des revenus autres que l’impôt foncier, une avenue peu utilisée. Elle ne s’est pas fait des alliés au sein du Caucus des grandes villes. Mais la mairesse Plante n’est pas la vedette de l’heure au sein du gouvernement caquiste.

Prenons donc ces premières réactions tièdes comme point de départ des négociations à venir. Le gouvernement Legault ne pourra ignorer la réalité des grandes villes, qui sont des partenaires incontournables pour atteindre ses objectifs de la rentrée parlementaire. L’itinérance, la crise du logement et la lutte contre les changements climatiques ont été identifiées comme les trois priorités du gouvernement caquiste. Il n’aura pas assez d’une session parlementaire pour en venir à bout.

Ne serait-ce que pour la question environnementale, l’UMQ évalue à 2 milliards par année les sommes nécessaires à l’adaptation des infrastructures municipales aux changements climatiques. Les villes n’arriveront pas à préserver des milieux de vie sains pour la population, des infrastructures viables et des écosystèmes en santé dans les limites du cadre fiscal actuel. L’idée d’un pacte vert, écartée par Québec, mérite d’être étudiée à nouveau.

Le gouvernement Legault a raison de se soucier de la « capacité de payer » des Québécois, mais il ne devrait pas perdre de vue leur « capacité d’encaisser ». Quand les villes craqueront de partout, le ressentiment et la frustration des citoyens résonneront bien au-delà d’une assemblée du conseil municipal.

En revanche, les maires des grandes villes devraient prêter une oreille plus attentive aux doléances exprimées par le gouvernement Legault et d’autres observateurs de la politique municipale quant à la nécessité de contrôler les dépenses. En moyenne, les employés municipaux sont payés 30 % plus cher que leurs semblables dans la fonction publique du Québec. Cet écart se maintient dans le temps, et les citoyens ont souvent l’impression de payer plus cher pour moins de services dans les grandes villes. À ce chapitre, un surplus d’efforts et de préoccupations du monde municipal ferait le plus grand bien pour faire avancer la discussion sur le pacte fiscal.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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