Les enfants autistes apprendraient à parler différemment

Les enfants autistes n’appréhendent pas le langage en observant leurs parents parler.
Vasiliki Varvaki Getty Images iStockphoto Les enfants autistes n’appréhendent pas le langage en observant leurs parents parler.

Les enfants autistes apprennent le langage par des mécanismes totalement différents de ceux des enfants dits neurotypiques (considérés comme dans la norme), confirme une analyse des études menées ces 30 dernières années. Cette observation remet du coup en question les interventions pratiquées jusqu’ici pour les aider à acquérir le langage oral.

« Toutes les interventions en autisme avaient pour principe et pour but d’augmenter l’attention conjointe des enfants autistes, qui en sont complètement dépourvus », souligne d’entrée de jeu le Dr Laurent Mottron, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal.

Tous les humains neurotypiques ont généralement un biais social pour leurs congénères. Les bébés apprennent à parler en portant attention à ce qui sort de la bouche de leurs parents. Et ils utilisent ce qu’on appelle l’attention conjointe, qui consiste à regarder là où l’autre regarde. Si la maman dit : « Ah ! Un chat ! » en regardant le félin qui passe à côté, l’enfant neurotypique suivra le regard de sa mère et, voyant alors le chat, il pourra coller le mot chat à cet animal, explique le Dr Mottron.

« L’attention conjointe est une fonction génétiquement codée qui semble très importante pour l’apprentissage du langage chez les jeunes enfants typiques. C’est une fonction qui est propre à de nombreux mammifères. Quand une vache regarde dans une direction, les autres vaches l’imitent », souligne-t-il.

L’attention conjointe ne sert toutefois que pendant un laps de temps assez court, car une fois que le langage a débuté chez un enfant, elle n’est plus nécessaire. La preuve : les enfants de trois ans sont souvent de véritables moulins à paroles, fait-il remarquer.

Les bambins autistes, quant à eux, ne s’intéressent pas à ce que leur mère regarde. Ils ne démontrent donc pas d’attention conjointe, et ils ne parlent pas du tout de l’âge de deux à quatre ans. Pendant les deux années suivantes, ils commencent à répéter des mots. Et peu à peu, la majorité d’entre eux finiront par parler. Environ un sur cinq n’utilisera quasiment jamais le langage verbal.

Le Dr Mottron cosigne un article dans l’édition d’octobre du journal Neurosciences & Biobehavioral Reviews qui démontre qu’il n’y a pas de lien entre le niveau d’attention conjointe que présentent les enfants autistes en très bas âge et le niveau de langage qu’ils atteignent plus tard dans leur vie. Et de ce fait, l’absence d’attention conjointe chez les enfants autistes — sans déficience intellectuelle — n’empêche pas ces derniers d’acquérir des niveaux de langage avancés, car 80 % d’entre eux finissent tout de même par parler correctement. Ils y arrivent toutefois plus tard que les autres, et en empruntant des mécanismes d’apprentissage différents de ceux employés par ces derniers, affirment les auteurs de l’article.

Les enfants autistes apprennent les lettres et les chiffres de façon autodidacte sur la tablette, leur outil de prédilection. « Ils ont une espèce d’attrait pour les lettres et les chiffres. On n’a pas à leur montrer que c’est important, car un autiste ne regardera pas ce qu’on lui désigne comme important », précise le Dr Mottron.

La moitié de la population autistique connaît l’alphabet à trois ans, alors que même un enfant à haut potentiel intellectuel, ayant un QI de 140, commence à quatre ans. On a vu des enfants autistes qui peuvent lire des mots, dont ils ne comprennent évidemment pas le sens, à trois ans, ce qui est rarissime chez les enfants neurotypiques, relate ce spécialiste de l’autisme.

« Les enfants autistes entrent dans le langage par l’écrit plutôt que par l’oral comme les “typiques”. Pour l’enfant typique, l’apprentissage oral est implicite, alors que l’apprentissage écrit est explicite et s’apprend à l’école. Chez les autistes, c’est quasiment le contraire, c’est l’écrit qui est implicite et après, il faut parfois leur faire faire de l’orthophonie pour qu’ils arrivent à faire la correspondance entre l’écrit et l’oral », résume le Dr Mottron.

Une autre observation qui soutient l’hypothèse selon laquelle les enfants autistes n’appréhendent pas le langage en observant leurs parents parler est l’exemple de cinq enfants tunisiens autistes qui parlaient l’arabe moderne standard, qui n’est employé qu’en politique et à la télévision, mais que les gens ne parlent pas à la maison. « Ces enfants maîtrisaient une langue qui n’était pas celle de leurs parents », souligne le Dr Mottron.

« Nous pensons que les autistes possèdent aussi ces analyseurs du langage qu’a décrits Chomsky et qui nous permettent de reconnaître des structures syntaxiques et de les apprendre. Mais les autistes les trouvent dans ce à quoi ils ont accès, soit du code écrit sur la tablette. Puis, ils finissent par se rendre compte que ce langage qu’ils ont appris de façon purement formelle peut aussi leur servir à demander une poire quand ils veulent une poire », avance le chercheur.

La grande idée qui se dégage de cette étude est donc qu’il est vain de tenter de développer l’attention conjointe chez les enfants autistes dans l’espoir qu’ils acquièrent le langage comme les autres enfants. « Vous ne pouvez pas imaginer la quantité de temps et de sueurs mentales qui a été dépensée [dans cette optique]. L’utilisation de la méthode Denver, créée par les psychologues Sally Rogers et Géraldine Dawson, pendant des 30 heures par semaine fut un échec complet ! » lance-t-il.

Son équipe propose une tout autre approche, soit « un système de tutorat latéral » dans lequel l’intervenant effectue à côté de l’enfant une activité qui a le maximum de points communs avec ce que l’enfant fait lui-même spontanément. « Si l’enfant a accès sur sa tablette aux mêmes comptines, casse-tête, ou jeux de correspondance mots-choses que vous faites à côté de lui, on le verra en train de faire les mêmes choses quelques jours plus tard. Pas tout de suite, parce que les autistes refusent d’imiter sur demande. Il faut simplement qu’il ait accès à de l’information [écrite] et après, ils se débrouillent », explique le Dr Mottron.

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