Conjuger travail au bureau et à domicile

Un peu moins de deux Canadiens sur cinq occupent un emploi qui pourrait théoriquement se prêter au télétravail.
iStock Un peu moins de deux Canadiens sur cinq occupent un emploi qui pourrait théoriquement se prêter au télétravail.

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L’affaire est souvent présentée comme un choc entre deux groupes irréconciliables. D’un côté, il y aurait de plus en plus d’employeurs bien décidés à sonner la fin de la récréation maintenant que la pandémie de COVID-19 est largement derrière nous et à exiger désormais que leurs employés reviennent travailler au bureau. De l’autre, il y aurait des travailleurs qui ont goûté au plaisir du télétravail et qui ne voudraient rien entendre. Mais la réalité semble moins tranchée au couteau.

C’est vrai que l’image est forte. La compagnie américaine Zoom — la même qui a donné l’une des plateformes de vidéoconférence sur lesquelles tout le monde s’est rabattu lorsque la pandémie nous a obligés à rester encabanés chacun chez soi — exige désormais que ses employés reviennent travailler au bureau, du moins deux jours par semaine.

L’anecdote a été reprise un peu partout pour illustrer la volonté grandissante des employeurs de refermer la parenthèse ouverte par la COVID et de retourner à une certaine forme de normalité prépandémique.

Même si on a d’abord dit le contraire, la pratique et les dernières recherches d’experts semblent indiquer que le télétravail se traduit par une certaine perte de la productivité, notamment parce que les travailleurs communiquent moins efficacement entre eux et qu’ils ratent des occasions de réseauter et d’apprendre. Un travail en mode hybride (partiellement à distance et partiellement sur place) annulerait toutefois ce problème, et pourrait même avoir l’effet inverse.

Et puis, il n’y a pas que la productivité qui compte dans la vie, rappellent les experts. Il y a aussi le bien-être des employés pour qui le télétravail est synonyme de moins de temps perdu dans la circulation et de meilleure conciliation travail-vie personnelle. Un facteur auquel les employeurs sont portés à prêter encore plus attention lorsqu’ils sont aux prises, comme au Québec, avec une rareté de main-d’oeuvre.

Ils ont raison d’être prudents, rapportait ce printemps un sondage Angus Reid. La moitié des travailleurs canadiens disent préférer travailler principalement de la maison, et parmi eux, un sur cinq donnerait sa démission si on le forçait à venir chaque jour au bureau, et un tiers commencerait à regarder s’il ne trouverait pas mieux ailleurs.

Entre le quart et la moitié des travailleurs

 

Dans les faits, un peu moins de deux Canadiens sur cinq occupent un emploi qui pourrait théoriquement se prêter au télétravail, avait estimé Statistique Canada avant la pandémie. Le mois dernier, un peu moins de 14 % des travailleurs agissaient exclusivement depuis leur domicile, un pourcentage en baisse de 3,2 points par rapport à l’an dernier. On les retrouve notamment dans l’administration publique (21 %), les services financiers et immobiliers (30 %) et les secteurs professionnels, scientifiques et techniques (41 %).

Dix pour cent avaient plutôt un mode de travail hybride et travaillaient principalement au bureau les mercredis (51 %), mardis (50 %) et jeudis (48 %), les lundis (42 %) et vendredis (37 %) se révélant moins prisés.

Selon de récents sondages de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), 37 % des Québécois (43 % des travailleurs de la région de Montréal et 50 % de ceux de Québec) s’adonneraient à une forme ou l’autre de télétravail, et 8 % pourraient le faire s’ils le voulaient.

Neuf travailleurs sur dix qui ont droit à cet arrangement s’en disent satisfaits, contre 66 % des Québécois qui travaillent uniquement au bureau.

Les deux tiers des employés du centre-ville de Montréal sondés ce printemps pour le compte de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain ont dit souhaiter qu’au moins une certaine présence au bureau soit imposée afin de gagner en productivité, de sociabiliser avec leurs collègues, de développer leur réseau professionnel et de bénéficier du soutien de leurs gestionnaires. Parmi le tiers restant, on trouve notamment des travailleurs qui vivent loin du centre-ville (68 %), qui ont des enfants (55 %) ou qui sont âgés de 18 à 34 ans (59 %).

Reste que cela laisse tout de même un peu plus de trois employés sur cinq au pays qui ne veulent pas entendre parler d’une politique imposant une présence obligatoire au bureau. Or, plus de 70 % de leurs employeurs souhaitaient l’inverse : 25 % s’attendent à voir leurs employés au bureau tous les jours, et 46 % parlent plutôt d’un mode hybride associé à un nombre de jours de présence minimal obligatoire.

Raffiner son regard

 

Toutes ces discussions sur les différents modes d’organisation du travail et un nombre minimum de journées au bureau passent à côté de l’essentiel si l’on s’en tient à des généralisations et que l’on ne prend pas en compte la réalité du terrain, expliquait, il y a déjà deux ans, au Devoir, la professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal Tania Saba. « Deux ou trois jours de télétravail par semaine pour qui ? Pourquoi ? Ça n’a aucun sens de prendre de telles décisions si cela ne s’appuie pas sur une analyse approfondie de la nature des tâches de chacun et de la meilleure façon de l’accomplir. »

Jusqu’à présent, moins d’une entreprise québécoise sur cinq s’est dotée d’une politique de travail en mode hybride dont les exigences ont été adaptées aux tâches, aux activités et à la nature de l’emploi, rapporte le CRHA.

Les entreprises n’ont toutefois pas fini de s’adapter, au moins le tiers d’entre elles s’attendant encore à modifier leur mode de fonctionnement durant l’année. Près du quart se sont cependant donné des règles sur le droit de leurs employés à la déconnexion en dehors des heures normales de travail ou encore aux « tracances », c’est-à-dire la possibilité de travailler à distance pendant un certain temps avant ou après des vacances.

Dans tous les cas, Tania Saba encourageait les employeurs à discuter ouvertement de ces questions avec leurs employés pour trouver, à force d’essais-erreurs, les meilleurs modes de fonctionnement. « Souvent très scolarisés et habitués à poser un regard sur ce qu’ils font, les télétravailleurs sont les mieux placés pour dire ce qui marche ou pas. »

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