Les «escouades mixtes» du SPVM nuisent aux itinérants, dénonce un rapport

Contrairement aux policiers qui arrivent en réponse aux appels au 911, la plupart des escouades mixtes interviennent plutôt en patrouillant dans des secteurs spécifiques. Il y a donc de plus en plus de policiers dans les milieux de vie des itinérants — en l’absence de toute infraction.
Jacques Nadeau archives Le Devoir Contrairement aux policiers qui arrivent en réponse aux appels au 911, la plupart des escouades mixtes interviennent plutôt en patrouillant dans des secteurs spécifiques. Il y a donc de plus en plus de policiers dans les milieux de vie des itinérants — en l’absence de toute infraction.

Non seulement les « escouades mixtes » d’intervention policière à Montréal n’aident pas les personnes en situation d’itinérance, mais elles ont même un effet néfaste sur leur vie, tranche un nouveau rapport de recherche se fondant sur les expériences de travailleurs de rue.

Le rapport Innovation ou extension de la répression ?, dont Le Devoir a obtenu copie, donne la parole à 38 intervenants terrain qui rapportent leur vécu et celui de leurs usagers avec les « escouades mixtes », c’est-à-dire des équipes d’intervention alliant un policier du SPVM à un travailleur social ou à un travailleur de la santé.

Ces escouades se sont multipliées ces dernières années, en tant que réponse de la Ville de Montréal et du SPVM à des situations qui requièrent selon eux une approche différente, comme des problèmes de santé mentale ou d’autres découlant de l’augmentation marquée du nombre de personnes en situation d’itinérance.

Mais si les objectifs semblent bien intentionnés — favoriser la cohabitation et diriger les personnes vulnérables vers les bons services — sur le terrain, rien ne va, dénonce le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), qui compte plus de 110 organismes membres.

« Face à un engouement médiatique élogieux pour ces approches soi-disant “sociales’’, les membres du RAPSIM ont été sidérés de constater le décalage entre les discours véhiculés (par exemple par la police, les instances municipales et les médias) et les réalités auxquelles ils font face quotidiennement sur le terrain », écrit en guise d’introduction au rapport Jérémie Lamarche, organisateur communautaire au RAPSIM.

Il y a peu de données et d’évaluation de l’efficacité de ces escouades, ajoute-t-il. C’est pourquoi le présent rapport de recherche, dirigé par le professeur de l’Université Concordia Ted Rutland — qui se spécialise en politiques urbaines —, offre la perspective des travailleurs de terrain en collaboration avec le RAPSIM.

Le rapport souligne que le point de vue de ces travailleurs comporte certaines limites, notamment car plusieurs n’avaient observé qu’une ou deux escouades.

De durs constats

 

Contrairement aux policiers qui arrivent en réponse aux appels au 911, la plupart des escouades mixtes interviennent plutôt en patrouillant dans des secteurs spécifiques. Il y a donc de plus en plus de policiers dans les milieux de vie des itinérants — en l’absence de toute infraction. Il en découle « une surveillance accrue », qui augmente leur stress et leur vulnérabilité, notamment parce que lorsqu’ils voient un policier, ils se demandent s’ils risquent de se faire embarquer.

Certes, dans certaines escouades, il y a un travailleur social, le même métier exercé par beaucoup d’intervenants de rue : mais il y a presque toujours un policier : « t’as un uniforme de police, t’es une police. […] tu représentes tout le reste des autres agents qui ne sont pas gentils avec toi d’habitude », peut-on lire dans le rapport. Ça peut ranimer des traumas et déclencher des crises, ajoute un autre intervenant.

Et puis, ces escouades ne répondent pas aux besoins des personnes itinérantes : elles visent à les déplacer loin des yeux des citoyens dérangés par la présence de pauvreté près de chez eux, critique le rapport.

Les escouades entravent aussi leurs propres efforts, disent les travailleurs de rue. Car leur travail implique le développement de relations dans le temps.

 

« Nous, on essaie de créer des liens de confiance pour que les jeunes sachent qu’il y a un espace sécuritaire où ils et elles peuvent aller. Mais si après ça, on est vu avec la police, c’est un peu “bien, ils sont-tu en train de dire des informations sur moi ? Tu travailles-tu avec la police ? Tu vas-tu me dénoncer ?’’ ». Cela sème la méfiance et la confusion sur leur rôle, ajoutent-ils.

Sans oublier que ces escouades accaparent des fonds gouvernementaux qui pourraient autrement être offerts aux organisations communautaires, est-il souligné.

La recommandation clé du rapport est de supprimer toutes les escouades mixtes afin d’en créer une entièrement civile, pour répondre aux appels impliquant les personnes en situation d’itinérance et à ceux qui n’impliquent pas d’infraction criminelle.

Une solution qui n’est « pas si loin » de l’escouade actuelle EMMIS (l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale), la seule qui ne comporte pas de policier, indique M. Lamarche. Mais alors qu’EMMIS peut être appelée à intervenir lors de plaintes de commerçants ou en cas de crainte de citoyens, l’escouade civile préconisée serait « entièrement neutre », c’est-à-dire sans parti pris pour eux ni pour les groupes marginalisés, décrit l’organisateur communautaire.

Au SPVM comme à la Ville de Montréal, on signale vouloir prendre connaissance du rapport plus en profondeur avant de le commenter.

La Ville souligne toutefois que ses escouades mixtes sont basées sur un modèle répandu en Amérique du Nord qui est, selon elle, reconnu à titre de solution favorisant la non-judiciarisation et le soutien social, de façon complémentaire aux autres formes d’interventions sociales. Elle estime que la complexité des enjeux touchant les personnes vulnérables nécessite une intervention d’intervenants détenant des expertises complémentaires en provenance du milieu communautaire, du réseau de la santé et des corps policiers. Elle fait de plus remarquer qu’elle croit aussi à l’efficacité du modèle non mixte, c’est-à-dire sans policiers, et a créé dans ce but l’EMMIS en 2021.

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