Le télétravail est là pour de bon (voici pourquoi)

La part des heures travaillées à la maison aux États-Unis est passée de 5 % en 2019 à 60 % à la mi-2020. Elle se stabilise ces jours-ci à 25 %. Et cela ne devrait plus baisser. Même si on commence à comprendre que le travail à la maison est moins productif que celui effectué au bureau.

La raison ? Ce ne sont pas les travailleurs ni même les patrons qui trouvent réellement leur compte dans le télétravail. Ce sont les dirigeants et les actionnaires. « Le travail à distance peut produire d’importantes réductions de coûts en faisant économiser de l’espace de bureau, et permet d’embaucher partout dans le monde. Cela rend cette option populaire pour les grandes entreprises », écrivent dans une étude publiée à la fin juillet trois chercheurs spécialisés en technologie et en économie de l’Université Stanford, en Californie.

« On peut prédire que le travail à la maison va continuer de croître, aussi parce que la recherche et le développement de nouvelles technologies amélioreront le télétravail », concluent-ils.

La part des Canadiens qui travaillent de la maison et la proportion d’heures effectuées à distance chaque semaine sont comparables aux données tirées du marché américain du travail, notent les chercheurs.

La pandémie n’aura donc pas été une cassure des habitudes dans la vie de bureau. Elle aura plutôt eu l’effet d’accélérer une tendance qui existait depuis les années 1960, mais qui a réellement décollé ces cinq dernières années.

Question de scolarité ?

Évidemment, ce ne sont pas tous les métiers ni tous les emplois qui peuvent être effectués à distance, de la maison ou à partir d’un café doté d’une bonne connexion wifi. L’étude de Stanford en rend bien compte. Elle va aussi plus loin sur ce sujet.

Elle constate, en faisant le tri des emplois où le télétravail est le plus populaire qu’ailleurs, qu’il existe une corrélation entre le niveau de scolarité des travailleurs et le nombre d’heures qu’ils passent à travailler de la maison. Ainsi, les gens dotés de l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires ou moins effectueraient 18 % de leur travail à la maison, contre 37 % pour ceux qui détiennent un diplôme universitaire. Une différence de deux pour un.

37 %
C’est le pourcentage du travail effectué à la maison par les personnes qui détiennent un diplôme universitaire, contre 18 % pour celles dotées de l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires ou moins.

« Le fait que les diplômés universitaires travaillent davantage de la maison pourrait expliquer pourquoi leur hausse de salaire pourrait être moins forte que pour les non-diplômés », lit-on. « Selon nos sondages, les gens qui peuvent travailler de la maison deux ou trois jours par semaine comparent cet avantage à une hausse de salaire de 8 %. » Une hausse après laquelle ils courent moins précipitamment que les gens qui pointent chaque matin au bureau, pourrait-on résumer.

Une de perdue, une de gagnée

 

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur l’effet du télétravail sur la productivité des travailleurs. Les conclusions vont dans tous les sens. Les trois chercheurs de Stanford font le tri de ces différentes recherches et en tirent deux conclusions.

La première : plus la technologie avance, plus le télétravail est efficace et facile. L’écart de productivité entre accomplir ses tâches au bureau ou n’importe où ailleurs dans le monde s’amoindrit à mesure que des technologies comme l’infonuagique, les réunions virtuelles et les applications collaboratives gagnent en popularité.

Sans doute que l’intelligence artificielle, si elle est bien intégrée dans les activités courantes des entreprises, rendra ses utilisateurs encore plus performants.

La seconde trouvaille : si le travail de la maison peut faire gagner l’équivalent d’une demi-journée en productivité, il peut aussi provoquer l’inverse et réduire de l’équivalent d’une journée entière la productivité de certains travailleurs.

Car il semble que, pour rendre les gens plus productifs en dématérialisant leur lieu de travail, l’idéal est d’adopter une approche hybride. Deux ou trois journées au bureau aux côtés des collègues, deux ou trois journées à la maison, ou en tout cas, à l’extérieur du bureau.

En travaillant entièrement à distance, les travailleurs communiquent moins efficacement avec leur équipe. Ils ratent aussi des occasions de réseauter et d’apprendre, ce qui peut leur faire manquer des occasions d’avancement, par exemple. À l’opposé, les travailleurs hybrides voient leur performance demeurer la même, dans le pire des cas, ou s’améliorer, la plupart du temps.

Dans un contexte où les travailleurs sont en rupture de stock, bien des entreprises sont prêtes à prendre le risque du télétravail, quitte à voir leur productivité légèrement réduite, concluent les chercheurs de Stanford. « À long terme, on voit les entreprises dans des économies avancées adopter un modèle où les patrons et les professionnels auront un horaire du temps hybride. Ces gens demeureront à distance raisonnable du bureau. »

Leurs subalternes, eux, soit travailleront complètement à distance, « où qu’ils se trouvent sur la planète », soit devront se présenter à leur lieu de travail tous les jours.

Dans un univers parallèle, cette évolution serait apparue lentement, au fil des vingt-cinq prochaines années. La pandémie a simplement précipité les choses.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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