La « vaccination » des plantes plutôt que les pesticides

Leïla Jolin-Dahel
Collaboration spéciale
L’équipe du professeur Harvey travaille à la mise au point de réseaux métallo-organiques susceptibles de protéger les plantes potagères des champignons, des bactéries ou d’autres virus.
Photo: iStock L’équipe du professeur Harvey travaille à la mise au point de réseaux métallo-organiques susceptibles de protéger les plantes potagères des champignons, des bactéries ou d’autres virus.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche: enjeux climatiques

L’initiative vise à décarboner les sols tout en proposant des produits de remplacement non toxiques pour l’environnement.

« Vacciner » les plantes et trouver des solutions durables pour éviter les pesticides de synthèse, c’est ce sur quoi travaillent des chercheurs issus principalement de l’Université de Sherbrooke. Leur projet se penche sur l’utilisation des MOF (pour metal organic framework, réseaux métallo-organiques en français). Cet élément se compose de deux morceaux : d’une part une pièce poreuse métallique de taille nanométrique, d’autre part une partie organique contenue dans la pièce.

« Ce n’est vraiment pas gros, l’oeil ne peut pas voir ça », indique Pierre Harvey, professeur de chimie à l’Université de Sherbrooke et chercheur principal sur ce projet entamé au printemps dernier. L’équipe se compose également de Peter Moffett, professeur au Département de biologie de ce même établissement, de Mamadou Fall, chercheur pour le compte d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, et de représentants du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) et de l’Association des producteurs de fraises et framboises du Québec.

L’initiative a été financée par le Fonds de recherche du Québec en nature et technologies et par le Programme québécois pour l’agriculture durable, pour un montant de l’ordre de 250 000 $ par année sur trois ans.

« Le problème numéro un est de réduire l’utilisation de pesticides », explique M. Harvey. Les travaux visent donc d’un côté à diminuer la quantité de produits requise, et à s’assurer que ces derniers soient non nocifs pour l’environnement et la consommation humaine d’autre part.

Protéger les plantes sans nuire à l’environnement

L’utilisation des MOF sert à traiter les plantes potagères, et ce, tout autant par l’extérieur (pulvérisation) que par l’intérieur (injection) de celles-ci. L’un des principes consiste donc à pulvériser une solution aqueuse à base de ce MOF sur la plante afin de la protéger contre les champignons, les bactéries et les virus.

« Des matériaux organiques pour fabriquer des MOF, il y en a une panoplie », indique M. Harvey. Mais l’originalité de son projet de recherche réside dans le fait qu’il se concentre surtout sur certains dérivés de la porphyrine, un squelette moléculaire que l’on retrouve dans l’hémoglobine du sang et dans la chlorophylle par exemple. La partie métallique du MOF est quant à elle produite avec des matériaux non toxiques.

« Lorsqu’on veut proposer quelque chose qui pourrait avoir un lien direct avec l’alimentation, on s’assure de faire les choses très rigoureusement. On travaille avec des chercheurs dans les hôpitaux. Ils vont regarder la cytotoxicité des éléments qu’on pourrait suggérer de mettre dans les sols et sur les plantes », précise le professeur. Il ajoute que certains MOF à base de porphyrine ont déjà été testés dans le milieu médical.

Une fois pulvérisée, la molécule de porphyrine absorbe la lumière du soleil et entre en contact avec l’oxygène. À ce moment-là, elle devient toxique. Après vérification, il s’avère cependant que cette toxicité demeure à quelques millimètres de la plante et qu’elle n’est donc pas nocive pour l’humain. En revanche, elle va tuer les cellules du champignon, de la bactérie ou du virus qui se sont attaqués à la plante.

« Vacciner » les plantes

L’autre principe consiste à « vacciner » les plantes. L’idée est d’injecter de l’ARN (un acide nucléique présent chez pratiquement tous les êtres vivants, dont les plantes) dans un MOF qui va être placé dans la terre avec la graine ou lorsque la racine est encore toute jeune, le but étant qu’en grandissant, la plante l’absorbe. Le MOF permet alors de protéger l’ARN le temps qu’il soit absorbé. Une fois entré dans la plante, l’ARN se diffuse pour activer le système immunitaire de cette dernière, sur le même modèle que les vaccins durant la pandémie. « Ça entre dans la plante. Son système immunitaire réagit et prépare des anticorps pour combattre ce corps étranger. Il s’équipe contre les microbes qui pourraient éventuellement arriver », décrit le chercheur.

Ainsi, les MOF contiennent l’ARN et le gardent intact. « C’est un peu comme une capsule qui protège un médicament avant d’aller dans l’estomac », illustre M. Harvey. Le MOF est ensuite absorbé par les racines du végétal. « Le processus de vaccination est lent. Donc le MOF peut rester dans la plante sans lui nuire », ajoute le professeur.

Réduire l’utilisation des pesticides

En agriculture, l’un des principaux défis au Québec reste la réduction de l’utilisation de pesticides de synthèse, croit M. Harvey. Une réalité qui causede la pollution et qui contribue à la carbonisation des sols, dit-il. D’ailleurs, le MAPAQ espère faire baisser de 500 000 kg les pesticides de synthèse vendus d’ici 2030.

Quant au projet de recherche, il vise à faire diminuer la concentration de certains agents à aussi peu que 50 ou 10 parties par million (PPM). « On est vraiment sur la bonne voie. En comprenant le mécanisme, on peut mieux cibler les matériaux et les produits qu’on va utiliser dans le futur », conclut-il.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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