La théocratie ne s’effondre pas assez vite pour le salut des Iraniennes

Il y a un an aujourd’hui, un horrible fait divers a changé la trajectoire tout entière d’un régime répressif. Tout comme l’immolation d’un jeune marchand tunisien, Mohamed Bouazizi, avait marqué le début du printemps arabe en 2010, la mort de Mahsa Amini aux mains brutales de la police des moeurs a ébranlé les fondements de la théocratie en Iran.

C’était le 13 septembre 2022. En visite à Téhéran, la jeune Mahsa Amini est interceptée par la police des moeurs parce qu’elle ne porte pas le voile obligatoire de façon « appropriée ». Arrêtée sans ménagement, frappée violemment à la tête, elle succombe à ses blessures le 16 septembre à l’hôpital.

Cette sinistre affaire marque le début d’une contre-révolution portée par les femmes, qui arrachent leurs voiles, le jettent, le brûlent et crient sur toutes les places publiques de l’Iran leur rage de vivre en femmes libres, libérées d’un régime islamo-militaire suffocant. Les hommes ne sont pas en reste et se joignent à la contestation qui embrase le pays. Dans les universités, ils arrachent spontanément les cloisons séparant les hommes des femmes pour introduire la lumineuse mixité dans les cafétérias.

Les deux journalistes qui ont fait connaître l’histoire au monde, Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi, sont toujours en prison. Elles risquent la peine de mort pour avoir enquêté sur la mort de la jeune femme de 22 ans. Des gestes aussi simples, tenus pour acquis dans nos démocraties ronronnantes, sont d’un courage inouï.

Rapporter les faits. Crier « Mort au dictateur » dans une manifestation. S’arracher le voile de la tête. Mélanger les hommes et les femmes. Danser langoureusement sur TikTok… C’est bien assez pour se faire arrêter, emprisonner, battre, torturer, exécuter.

Selon le dernier rapport des ONG Iran Human Rights et Ensemble contre la peine de mort, l’Iran a exécuté 582 de ses citoyens en 2022, une hausse de 75 % par rapport à l’année précédente.Il s’agit là de « l’ultime outil d’intimidation et d’oppression par le régime iranien ».

Qu’en est-il un an plus tard ? Le régime exsangue des mollahs tient le coup en procédant à des arrestations par milliers. Les manifestations se font plus rares. Les mesures de harcèlement, d’intimidation et de surveillance de masse se sont intensifiées. Les commerces qui acceptent les femmes non voilées ont été fermés. Les femmes sans hidjab se voient refuser l’accès aux musées, aux taxis.

La police des moeurs a été abolie par le régime, une concession bien symbolique, mais la répression des femmes se poursuit par une série de mesures dont la plus pernicieuse est la délation, qui érige l’Iranien contre son prochain.

Cette implacable répression témoigne davantage de l’essoufflement du régime que de sa stabilité, mais les mollahs n’ont pas dit leur dernier mot. Depuis que les républicains de l’ex-président, Donald Trump, ont commis l’irréparable gaffe de tuer l’accord sur le nucléaire entre les États-Unis et l’Iran, le champ est libre pour des acteurs malveillants au Moyen-Orient. La fragile détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite, sous les auspices de Pékin, pourrait bien marquer l’émergence de ce que notre confrère Guy Taillefer a qualifié « d’internationale de la répression ».

Les pays du Golfe pourraient ainsi entrer dans une ère mixte de compétition et de coopération sur des enjeux qui les rassemblent : la contestation ouverte de la démocratie et du libéralisme à l’échelle internationale, la suppression active des droits et des libertés à l’échelle intérieure, l’exploitation des hydrocarbures au profit de la Chine, à la barbe de la lutte contre les changements climatiques. Le désengagement des États-Unis au Moyen-Orient, sous le coup des politiques isolationnistes, laisse le champ libre à la Chine pour assumer le rôle du pacificateur armé dans cette région du monde.

Cette nouvelle alliance encore fragile, au sein de laquelle la Russie joue également sa partition, de même que l’étouffement de la contestation dans l’indifférence de la communauté internationale démontrent bien les limites de la progression des idéaux démocratiques dont se réclament les insurgés iraniens.

Mélange de conservatisme et d’autoritarisme, ces forces sont des freins au mouvement « Femmes, vie liberté ! ». Fatiguées d’être les esclaves des islamistes, les femmes iraniennes sont encore loin du jour de leur libération.

Les pays occidentaux n’ont pas trouvé mieux que les sanctions économiques pour contenir l’Iran, avec des résultats mitigés. Jumelées à la corruption galopante en Iran, ces sanctions ont pour effet de placer près du tiers de la population sous le seuil de la pauvreté. Elles n’arrivent pas à produire l’effet recherché, soit l’effondrement du régime.

Nous en sommes quittes pour observer une catastrophe au ralenti. Les femmes, plus particulièrement les jeunes qui sont instruites et qui mènent la charge contre l’oppression, seront les premières fauchées dans l’impossibilité du rapprochement avec les valeurs démocratiques occidentales.

Le régime s’effondre peut-être, mais pas assez vite pour épargner une jeunesse qui a l’effronterie d’exiger la liberté d’un régime pervers dans son rapport aux femmes.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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