Les savoirs autochtones pour lutter contre les feux de forêt

Pascaline David
Collaboration spéciale
Durant un atelier de cartographie participative à Wemindji, terre réservée crie située en Eeyou Istchee, des membres de la communauté crie identifient les points névralgiques de leur territoire.
Guillaume Proulx Durant un atelier de cartographie participative à Wemindji, terre réservée crie située en Eeyou Istchee, des membres de la communauté crie identifient les points névralgiques de leur territoire.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche: enjeux climatiques

En 2023 au Canada, les incendies de forêt ont ravagé une surface plus de 10 fois supérieure à la moyenne d’hectares brûlés par décennie au pays. Particulièrement vulnérables aux conséquences des feux, les peuples autochtones détiennent des savoirs ancestraux précieux. Guillaume Proulx, étudiant au doctorat en géographie culturelle à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), cherche ainsi à mettre à profit les connaissances des Cris d’Eeyou Istchee Baie-James afin de développer des mesures d’atténuation.

Cet été, des feux d’une ampleur et d’une intensité sans précédent ont entraîné l’évacuation de nombreuses communautés au Canada et au Québec. « Les Cris perçoivent des changements très rapides dans l’écosystème, explique Guillaume Proulx. Il y a une véritable inquiétude que les vieilles forêts disparaissent et que les écosystèmes s’homogénéisent, c’est-à-dire que la diversité des espèces diminue. » Une solastalgie bien légitime, alors que des chemins empruntés depuis des générations demeurent introuvables après avoir été balayés par les flammes.

« Le territoire des Cris est beaucoup plus vulnérable depuis 50 ans, conséquemment au développement industriel de la Baie-James », poursuit le chercheur. Les constructions minières et hydroélectriques ont entraîné de nombreuses transformations sociales, une importante sédentarisation et un changement du cadre bâti. Ainsi, les infrastructures sont davantage exposées au feu et les communautés ont subi une perte de savoir intergénérationnel et de contact avec le territoire.

Par exemple, la route Billy Diamond, qui représente le seul lien routier vers de nombreuses communautés cries de Chisasibi, Wemindji, Eastmain et Waskaganish, dans le nord-ouest du Québec, devient rapidement inaccessible. « La route est fermée quand les fumées sont trop importantes, précise Guillaume Proulx. C’était moins un problème avant, mais maintenant tout le monde vit au même endroit. »

La forêt, une alliée

Dans ce contexte, le projet Évaluation et atténuation du risque de feux de forêt en Eeyou Istchee Baie-James arrive à point nommé. « J’essaie d’abord de voir quelle place occupent les feux dans le paysage culturel cri, c’est-à-dire quelle relation ils entretiennent avec ces phénomènes, explique Guillaume Proulx. Enfin, j’échange avec des utilisateurs du territoire et des maîtres de trappe pour connaître les pratiques utilisées afin de protéger les infrastructures. »

Dans ses entrevues semi-dirigées avec les Cris, Guillaume Proulx a remarqué que beaucoup voient encore les feux comme bénéfiques, rajeunissant la forêt et produisant davantage de bleuets. Les Cris ont développé des pratiques adaptées aux incendies qui se déclenchent naturellement sur leur territoire depuis des milliers d’années. Au gré des saisons, ils choisissaient leur campement en fonction des risques, notamment de feux de forêt. Le brûlage traditionnel était pratiqué, avant qu’il ne soit fortement découragé, cette technique étant considérée comme dangereuse selon notre conception occidentale de la sécurité.

« Ils ont conservé la pratique de construire dans des endroits sablonneux où les arbres sont moins secs, ou bien dans des milieux dégagés de peuplements forestiers », illustre Guillaume Proulx. Certains utilisateurs ont aussi pour habitude de ramasser les branches de l’épinette noire, très présente dans le Nord, qui jonchent les chemins, d’abord pour pouvoir y circuler, mais également pour rendre le milieu moins inflammable.

Lors d’ateliers de cartographie participative, les utilisateurs identifient eux-mêmes les lieux valorisés pour les activités de la communauté, la transmission de ses connaissances, son bien-être. Ces informations sont ensuite comparées avec des données plus classiques fournies par Hydro-Québec, pour analyser le degré d’exposition des infrastructures. Ultimement, le chercheur souhaite mettre en place des plans d’adaptation pour chaque communauté, avec des scénarios adaptés aux coûts et bénéfices des méthodes employées.

Quand local et mondial convergent

Guillaume Proulx a remarqué que ses intervenants sortaient spontanément du cadre des entrevues liées à la gestion du risque pour parler de souveraineté du territoire. « Sans que je pose de questions là-dessus, beaucoup m’ont raconté les inondations de leur territoire causées par les installations hydroélectriques, et leur faible marge de manoeuvre, déléguée à des organismes externes comme la SOPFEU, révèle-t-il. On voit vraiment que les impacts globaux des changements climatiques sont indissociables des problématiques locales liées au colonialisme et au capitalisme. »

Lauréat de l’une des toutes premières bourses Action climatique, Guillaume Proulx espérait terminer son projet l’an prochain, mais les feux de forêt l’en empêchent. « J’ai dû annuler trois fois mes voyages », témoigne-t-il. Si le chercheur est heureux d’avoir reçu une bourse, il rappelle toutefois l’importance de mieux financer la recherche fondamentale à long terme, de manière plus durable et moins ponctuelle ou sectorielle.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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