Le gouvernement Trudeau cible le mauvais adversaire

Que le régime communiste de Chine ait tenté d’influencer les deux dernières élections fédérales avait provoqué une réelle onde de choc. Que Pékin ait établi des « postes de police » clandestins, pour sévir contre ses ressortissants en sol canadien, a tout autant ébranlé la classe politique et la société. L’assassinat commandé par le gouvernement indien d’un leader sikh devenu citoyen canadien, ici même, en banlieue de Vancouver, viendrait bouleverser l’ordre pourtant établi dans les démocraties dont le premier ministre Narendra Modi prétend faire partie.

Les Canadiens n’ont plus seulement perdu leur innocence quant à la portée de l’ingérence étrangère perpétrée par quelques États, celle-ci vient maintenant de voler en éclats.

L’escalade diplomatique a été instantanée. Le directeur du renseignement indien en poste à Ottawa a été déclaré persona non grata. Son homologue canadien à New Delhi aussi. Le gouvernement Modi a qualifié les « allégations crédibles » brandies par le Canada d’« absurdes » et les a « complètement rejetées ». Sa collaboration, espérée par Ottawa, ne viendra visiblement pas.

Pas plus que le rapprochement souhaité jusqu’ici par le Canada, pour faire contrepoids au gel des relations avec la Chine. Le gouvernement se retrouve plutôt en froid avec deux des plus importantes économies de la planète, mais qui sont aussi coupables de certaines des démarches d’ingérence les plus agressives.

La solidarité que manifesteront les alliés occidentaux reste à mesurer. Bien que les États-Unis et l’Australie soient profondément préoccupés, la Grande-Bretagne (chez qui un autre dirigeant indépendantiste sikh a été tué en juin) compte pour sa part poursuivre ses pourparlers commerciaux avec New Delhi. Et aucun autre pays n’a formellement condamné dans l’immédiat le gouvernement Modi.

Un élan de solidarité s’est en revanche exprimé au Parlement canadien. Le temps d’une vingtaine de minutes, du moins, les hostilités politiques ont été suspendues au nom de la sécurité nationale. Ce qui pourrait être de bon augure, si cela perdure, pour les travaux de l’enquête publique sur l’ingérence étrangère des prochains mois.

Cette détente est cependant demeurée circonscrite. À peine les travaux parlementaires étaient-ils entamés, lundi, que les attaques partisanes ont elles aussi repris de toutes parts. Notamment et surtout dans les banquettes libérales, dont les ministres ont accusé les conservateurs de piquer « des petites colères » et de « montrer leur vrai visage », les traditionnels épouvantails de l’avortement, des armes à feu et du climatoscepticisme ayant été ressortis pour l’occasion.

Peut-être les libéraux se sont-ils permis de déverser leur fiel par fraternité avec leur confrère Steven Guilbeault, forcé de « débloquer » sur X (feu Twitter) le polémiste Ezra Levant et de s’exposer de nouveau à ses insultes répétées. L’ordre de la Cour fédérale, imposé tant que M. Guilbeault sera non seulement ministre de l’Environnement mais aussi simple député, a dû souffler nombre d’élus de tous les ordres de gouvernement. Blague à part, la rancoeur des libéraux était probablement davantage guidée par les récents sondages.

Reste que le ton était ainsi donné pour une session parlementaire qui se fera sous le thème du coût de la vie, du logement et de l’épicerie. Les principaux partis fédéraux se sont adonnés à leur propre surenchère, en promettant chacun un projet de loi pour y remédier. Le gouvernement libéral y est en outre allé d’une autre priorité : le projet de loi promis à son partenaire néodémocrate pour jeter les bases d’une assurance médicaments sera déposé prochainement et adopté, espère-t-il, d’ici la fin de l’année.

Le Québec, qui compte son propre programme, a pourtant prévenu qu’il n’en voulait pas. Et qu’il compte bien réclamer son dû, par le biais d’un droit de retrait avec pleine compensation sans aucune condition.

Un scénario qu’a refusé de commenter au Devoir le ministre fédéral de la Santé, l’Ontarien Mark Holland, qui a préféré entretenir un flou peu rassurant. Son souhait de « collaborer » dans le but d’atteindre un « objectif commun » laisse toutefois présager de ses intentions. D’autant plus que son allié néodémocrate, Jagmeet Singh, a rejeté d’entrée l’idée d’un programme asymétrique pour le Québec.

Le gouvernement de François Legault se tient prêt. Le Bloc québécois également. Le chef conservateur Pierre Poilievre a préféré se défiler une fois de plus.

 

Le Québec n’a nul besoin d’un énième contentieux de compétences avec Ottawa. Le fédéral n’a toujours pas convenu avec Québec d’une entente sur le financement en santé annoncé en février ni d’un droit de retrait pour son programme d’assurance dentaire, autre projet libéral-néodémocrate. Voilà qu’un troisième empiétement fédéral en santé se prépare.

Le gouvernement de Justin Trudeau devrait se préoccuper d’abord de ses adversaires à Pékin et à New Delhi, plutôt que de faire au Québec ce qu’il reproche à ses rivaux de l’opposition : se chamailler inutilement.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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