Financement de la santé: une offre finale d’Ottawa jugée insuffisante par les provinces

Le premier ministre Justin Trudeau, entouré de ses homologues provinciaux et territoriaux
Sean Kilpatrick La Presse canadienne Le premier ministre Justin Trudeau, entouré de ses homologues provinciaux et territoriaux

Justin Trudeau avait beau juger son offre « généreuse » pour le financement de la santé des provinces, ces dernières l’ont qualifiée de « décevante » après en avoir pris connaissance. Le gouvernement fédéral propose d’investir 46 milliards de dollars en nouvel argent — et 196 milliards de dollars supplémentaires au total — pour donner un nouveau souffle aux systèmes de santé du pays. Une offre en deçà des demandes des provinces, qui ont toutefois admis ne pas avoir une grande marge de manoeuvre pour en soutirer davantage à Ottawa.

Les premiers ministres des provinces sont sortis unanimes de leur rencontre avec Justin Trudeau. « Ce n’est pas beaucoup de nouvel argent. […] C’est un peu décevant », a déploré Heather Stefanson, du Manitoba. « C’est nettement insuffisant », a renchéri son homologue québécois, François Legault.

Le premier ministre fédéral, lui, parlait encore d’un « investissement fédéral majeur » en conférence de presse depuis l’hôpital d’Ottawa où il s’était déplacé sans ses homologues pour vanter son offre devant des unifoliés placés de part et d’autre de deux civières cernées de moniteurs.

« De toute évidence, on n’a pas la même définition du mot “substantiel” », a déclaré M. Legault, en rappelant que c’était ce que lui avait promis M. Trudeau avant Noël.

Le gouvernement Trudeau est venu proposer aux provinces mardi d’injecter 2 milliards de dollars supplémentaires dès cette année dans le Transfert canadien en matière de santé (TCS), dont 447 millions pour le Québec. Ottawa serait par la suite disposé à augmenter ce transfert d’au moins 5 % annuellement pour cinq ans (plutôt que le plancher de 3 % fixé actuellement, lorsque la croissance du PIB y est inférieure).

L’offre fédérale prévoit en outre 25 milliards de dollars à partager entre les 10 provinces et 3 territoires par le biais d’ententes bilatérales sur les priorités fixées par Ottawa, dont 4,8 milliards pour le Québec.

Deux enveloppes qui ne seraient pas accompagnées de conditions, selon François Legault, malgré la prétention contraire du fédéral.

Des négociations incertaines

Bien que les provinces aient fait front commun pour se montrer déçues, François Legault a été forcé de reconnaître qu’il leur serait difficile de négocier une offre plus généreuse. Car celle présentée par M. Trudeau lui a semblé « pas mal finale », a-t-il rapporté. « Il va falloir reprendre les discussions avec le gouvernement fédéral qui sera là dans les prochaines années », a-t-il lancé, semblant abdiquer.

Justin Trudeau semblait en effet déterminé à aller de l’avant. L’offre présentée mardi est celle « qui rentre dans notre cadre fiscal — parce qu’on doit demeurer responsables —, mais qui est [suffisante] pour pouvoir amener de vrais changements et de vraies améliorations », a soutenu le premier ministre fédéral.

« Il est temps d’être à la hauteur du moment », avait-il souligné un peu plus tôt, lors d’un discours de 13 minutes prononcé en début de conférence de presse. « J’ai de grandes attentes, mais des attentes raisonnables aussi, que dans les prochaines semaines — et non des mois —, nous allons conclure des ententes bilatérales, commencer à distribuer plus d’argent et que les Canadiens vont commencer à voir de vrais résultats », a-t-il avancé.

46 milliards
Le gouvernement fédéral propose aux provinces d’investir en santé 46 milliards de dollars en nouvel argent, et 196 milliards de dollars supplémentaires au total sur dix ans.

Ces négociations pourraient aller plus rondement avec certaines provinces. Doug Ford, de l’Ontario, a paru moins déçu que ses homologues. « J’accueille toujours favorablement du nouveau financement, qu’il soit petit ou grand », a-t-il fait valoir. « Nous voyons ceci comme un point de départ, une mise de fonds vers une discussion ultérieure », a-t-il ajouté pour faire écho davantage aux positions de ses collègues. Ses homologues de l’Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador ont aussi souligné que les sommes annoncées, bien qu’inférieures aux demandes, n’étaient pas sans importance.

M. Trudeau a dit savoir de première main que « certains premiers ministres regardent ces milliards de dollars » avec attention et que les pourparlers iraient rapidement de l’avant.

Les chiffres, sans conditions

En échange d’une hausse du taux d’augmentation du TCS, le gouvernement Trudeau réclame que les provinces améliorent leur collecte de données et les partagent — ce que François Legault a accepté, car le gouvernement québécois le fait déjà, dit-il.

Ottawa prévoit ainsi investir 17,3 milliards de dollars d’argent frais sur cinq ans, qui s’ajoutent aux 142 milliards qui auraient déjà été ajoutés en vertu de l’indexation actuelle. Ces chiffres permettent ainsi au fédéral d’affirmer investir 196 milliards de dollars supplémentaires, même s’il ne s’agit en fait que de 46,2 milliards en nouvel argent.

Les premiers ministres des provinces réclamaient justement que la hausse annuelle passe à 5 %, mais après un investissement supplémentaire de 28 milliards dès cette année. L’offre fédérale prévoit en fait le versement de 4,9 milliards de dollars de nouvel argent en 2023-2024. Les provinces auraient aussi souhaité que le transfert fédéral soit augmenté suffisamment pour couvrir 35 % de la facture en santé, plutôt que les 22 % actuels.

De toute évidence, on n'a pas la même définition du mot “substantiel”

 

Le TCS devait atteindre 49,4 milliards de dollars pour l’année budgétaire à venir, dont près de 11 milliards pour le Québec, avant la nouvelle offre.

Pour qu’elles aient droit aux 25 milliards promis en ententes bilatérales sur 10 ans, Ottawa réclamerait aux provinces qu’elles fournissent un plan d’action et divulguent des indicateurs de résultats à leurs citoyens. François Legault n’y voit pas de conditions à proprement parler : « Notre seule imputabilité, c’est face à nos citoyens. Dans ce sens, on chemine dans la bonne direction. »

M. Trudeau ne l’a pas contredit.

Les provinces pourraient choisir de toucher ces fonds en les investissant dans une seule ou plusieurs des quatre priorités d’Ottawa (soins de santé familiale, travailleurs de la santé, santé mentale et toxicomanie, modernisation du système de santé au moyen de données). Les sommes seraient versées obligatoirement de façon équilibrée sur 10 ans à des fins de prévision budgétaire.

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