L’assurance dentaire d’Ottawa reçue comme un mal de dents à Québec

« Notre préférence aurait été des sommes additionnelles en santé. On l’a dit, on le répète. C’est la priorité pour le gouvernement du Québec », a affirmé le ministre des Finances du Québec, Eric Girard.
Jacques Nadeau Le Devoir « Notre préférence aurait été des sommes additionnelles en santé. On l’a dit, on le répète. C’est la priorité pour le gouvernement du Québec », a affirmé le ministre des Finances du Québec, Eric Girard.

Le budget fédéral aura accouché d’une nouvelle pomme de discorde entre Québec et Ottawa. Le gouvernement Legault ne veut pas du régime canadien de soins dentaires qui y a été annoncé et réclame un droit de retrait avec pleine compensation. Justin Trudeau n’a pas dit non, mais son gouvernement prévient que toute compensation devra servir à élargir l’assurance dentaire.

« Ce n’est pas une chicane », a affirmé le premier ministre Trudeau mercredi, en tentant d’apaiser tout début de différend avec Québec avant même qu’il prenne forme.

Le ministre québécois des Finances, Eric Girard, venait toutefois de déplorer que le budget fédéral, déposé la veille, ait promis 13 milliards de dollars pour créer un régime d’assurance dentaire pancanadien alors que le Québec demeure insatisfait des sommes consenties par Ottawa le mois dernier en matière de santé. Le gouvernement de François Legault n’a d’ailleurs toujours pas signé d’entente de principe avec le fédéral dans ce dossier, selon les informations du Devoir, contrairement à tous ses homologues provinciaux.

« Notre préférence aurait été des sommes additionnelles en santé. On l’a dit, on le répète. C’est la priorité pour le gouvernement du Québec », a affirmé le ministre Girard, en mêlée de presse à l’Assemblée nationale mercredi. « C’est certain qu’avant de créer de nouveaux programmes, il faut financer adéquatement ceux qu’on a déjà. »

Le Québec couvre les soins dentaires des enfants de moins de 10 ans. Le gouvernement Trudeau rembourse pour sa part depuis l’an dernier les soins dentaires des enfants de moins de 12 ans. Dans son budget 2023, M. Trudeau s’est engagé à créer un « régime canadien de soins dentaires » qui élargira d’ici la fin de l’année cette couverture aux mineurs, aux personnes âgées ainsi qu’à celles vivant avec un handicap qui n’ont pas d’assurance privée. Le régime sera ensuite offert à tous les Canadiens ayant un revenu familial annuel inférieur à 90 000 $ d’ici 2025.

Le ministre Girard évalue que la part du Québec des fonds prévus par Ottawa se chiffrerait à 2,9 milliards.

« Ouvert », sous conditions

Justin Trudeau n’a pas fermé la porte à la demande de Québec. « Je suis ouvert à avoir des conversations avec M. Legault », a-t-il répondu à son arrivée au parlement.

Il a toutefois laissé entendre que toute négociation à venir devra prévoir que le Québec offrira tout de même une assurance dentaire aux citoyens qui y auraient droit en vertu du plan d’Ottawa.

« Le but de ce programme est de s’assurer que tout le monde à travers le pays aura accès à des soins dentaires de façon abordable. On est très heureux de travailler avec n’importe quelle province sur des mesures qu’elles souhaitent mettre en œuvre pour s’assurer que ce soit fait. Mais c’est ça, le but du programme, et ça devrait arriver à ces fins-là », a prévenu Justin Trudeau en fin de journée.

Son ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, avait été encore plus direct en matinée. À la question de savoir si une compensation serait conditionnelle à ce qu’elle finance le remboursement de soins dentaires, M. Duclos avait répondu : « C’est tout à fait ça. Ce sont des soins dentaires qui sont essentiels autant pour les Québécois que pour les autres Canadiens. »

Or, à Québec, où le gouvernement Legault protège jalousement ses champs de compétence, on ne s’est pas engagé à se plier aux conditions du fédéral. « Il devra y avoir des négociations », s’est contenté d’avancer le ministre Girard. En coulisses, on répète comme toujours que le Québec est libre de gérer comme il l’entend le financement de la santé.

En vidéo | Revoyez l'annonce du budget provincial avec Éric Girard, ministre des Finances du Québec

D’autres provinces préoccupées

Outre ces pourparlers qu’Ottawa devra tenir avec Québec, d’autres provinces voudront aussi réclamer des précisions. Car elles couvrent toutes déjà, à des degrés variables, les soins dentaires d’une partie de leur population.

Le bureau du premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, s’est réjoui que le fédéral propose une mesure qui viendra soulager les citoyens de la hausse du coût de la vie. « Nous avons hâte de voir comment le programme fédéral s’arrimera à la couverture existante offerte en Colombie-Britannique », a-t-on indiqué par courriel.

De retour à Ottawa, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a repris les critiques du gouvernement Legault. « Les compétences en santé sont exclusivement des compétences du Québec en de telles matières », a-t-il affirmé.

Le chef conservateur, Pierre Poilievre, a quant à lui refusé de dire s’il conserverait le régime de soins dentaires s’il était élu. « Ça n’a pas de bon sens de dire oui ou non à quelque chose qui n’existe pas. Nous verrons ce qui va exister », s’est-il contenté de répéter.

Le leader néodémocrate, Jagmeet Singh, s’est pour sa part défendu d’avoir milité pour une assurance dentaire qui s’ingère dans les champs de compétence des provinces. « On ne s’ingère pas. On n’embauche pas les dentistes. On n’embauche pas les hygiénistes », a-t-il rétorqué. « Ce qu’on propose, c’est de payer les factures », a-t-il dit.



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