L’Inde expulse un diplomate canadien par mesure de rétorsion

L’Inde a riposté au Canada, tôt mardi matin, après que le premier ministre Justin Trudeau a établi un lien entre des agents du gouvernement indien et l’assassinat par balle d’un dirigeant sikh près de Vancouver.

Une déclaration du ministère indien des Affaires extérieures indique qu’un diplomate canadien de haut rang, dont le nom n’a pas été révélé, a été prié de quitter l’Inde dans les cinq jours à venir.

Cela survient au lendemain de l’annonce, par la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, de l’expulsion du diplomate indien Pavan Kumar Rai, que son ministère considère dans son registre public comme un agent diplomatique à la tête d’une agence de renseignement indienne établie à Ottawa.

Sur la colline parlementaire, mardi matin, M. Trudeau et ses ministres ont tour à tour envoyé un appel à l’unité et au calme.

« Je veux réitérer qu’on devrait rester calmes […] ancrés dans nos valeurs démocratiques, dans les principes de règles de droit et de suivre les faits, de faire le travail nécessaire pour assurer justice et redevabilité », a dit le premier ministre en français alors qu’il se rendait à une réunion du conseil des ministres.

Il a ajouté en anglais que son gouvernement « ne cherchait pas à provoquer ou à [faire] escalader » les tensions avec l’Inde. « Nous présentons simplement les faits tels que nous les comprenons et nous voulons travailler avec le gouvernement indien pour tout mettre au clair. »

Appels au calme

La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, a rappelé mardi que ses parents sont originaires de l’Inde. « J’espère que tout le monde va être calme et uni parce que c’est un temps difficile », a-t-elle soutenu en français.

« C’est un moment où on doit comprendre [cela], on doit permettre au processus légal de continuer et on doit aussi avoir de l’empathie pour tout le monde qui vient de cette région du monde », a-t-elle ajouté.

Faisant écho aux propos de sa collègue, l’ex-ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a affirmé qu’Ottawa souhaitait exprimer sa solidarité envers les communautés indo-canadienne et sud-asiatique. « Nous allons travailler à aller au fond de [tout] ceci, mais entre-temps, j’espère que les Canadiens, peu importe de quelle communauté ils sont issus, sont capables [d’être solidaires] », a dit en anglais celui qui est maintenant ministre du Logement.

M. Trudeau a révélé lundi à la Chambre des communes qu’Ottawa considère comme étant crédibles les allégations selon lesquelles des agents du gouvernement indien ont joué un rôle dans la mort de Hardeep Singh Nijjar, en juin.

« Au cours des dernières semaines, les agences de sécurité canadiennes ont activement enquêté sur des allégations crédibles faisant état d’un lien potentiel entre des agents du gouvernement indien et l’assassinat d’un citoyen canadien », a-t-il dit en Chambre.

« Toute implication d’un gouvernement étranger dans le meurtre d’un citoyen canadien sur le sol canadien constitue une violation inacceptable de notre souveraineté, a-t-il dit. Un tel acte va à l’encontre des règles fondamentales qui régissent les sociétés libres, ouvertes et démocratiques. »

Assassinat en juin

M. Nijjar a été tué dans le stationnement de son lieu de culte sikh à Surrey, en Colombie-Britannique, le 18 juin dernier.

Alors que des dirigeants de la communauté sikhe au Canada ont aussitôt imputé l’assassinat au gouvernement indien, la police avait toujours déclaré jusqu’ici qu’elle n’avait pas établi de lien avec une quelconque ingérence étrangère dans ce crime.

Le gouvernement indien a rejeté les allégations d’implication dans la mort de M. Nijjar, les qualifiant d’« absurdes et motivées ».

« Ces allégations non fondées cherchent à détourner l’attention des terroristes et extrémistes khalistanais, qui ont trouvé refuge au Canada et continuent de menacer la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Inde », a indiqué le ministère indien des Affaires étrangères dans une déclaration.

L’Inde avait lancé un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Nijjar pour son plaidoyer en faveur d’un État sikh séparé dans la région indienne du Pendjab, que les indépendantistes appellent le « Khalistan ». L’Inde soutient depuis longtemps que ces militants portent atteinte à la sécurité nationale, alors que le Canada insiste sur le fait que ses citoyens jouissent de la liberté d’expression s’ils n’incitent pas à la violence.

La police de la Colombie-Britannique a indiqué lundi, en fin de journée, qu’elle était au courant des commentaires de M. Trudeau, mais qu’elle n’était pas en mesure d’évoquer les détails de son enquête.

Poilievre veut en savoir plus

À Ottawa, mardi, le chef conservateur, Pierre Poilievre, a déclaré que M. Trudeau devrait partager plus d’informations sur ce qui l’a amené à faire sa déclaration de lundi au Parlement. Il a soutenu que le premier ministre ne lui avait pas donné en privé plus de détails que ce qu’il avait dit à la Chambre des communes.

« Nous avons besoin de plus de faits. Le premier ministre n’a fourni aucun fait », a-t-il déclaré aux journalistes, mardi, sur la colline du Parlement.

Le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, a écrit à la juge Marie-Josée Hogue, qui présidera la commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère, pour lui demander de se pencher aussi sur l’Inde. Les libéraux ont laissé entendre que les termes de son mandat sont suffisamment larges pour inclure n’importe quel pays, mais aussi le cas de M. Nijjar.

« D’après mon expérience, en tant que Canadien sikh, il y a toujours eu des soupçons selon lesquels l’Inde interférait dans les droits démocratiques des Canadiens, écrit M. Singh dans sa lettre. L’annonce faite hier par le premier ministre confirme que ces soupçons sont fondés. »

Devant les journalistes à Ottawa, mardi, M. Singh a estimé que si ces allégations sont vraies, les Canadiens devront réfléchir sur leurs relations avec l’Inde. « Si c’est un État, un pays, un gouvernement qui a des pratiques comme ça, on doit réellement [se demander] si on veut avoir une relation avec un pays comme ça », a-t-il dit en français.

Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont tous publié des déclarations appelant à une enquête approfondie sur ces allégations.

« Nous sommes profondément préoccupés par les allégations évoquées hier [lundi] par le premier ministre Trudeau, a déclaré l’ambassade des États-Unis à Ottawa. Nous restons en contact régulier avec nos partenaires canadiens. Il est essentiel que l’enquête du Canada se poursuive et que les auteurs soient traduits en justice. »

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