Quel est le potentiel de séquestration de carbone de la forêt québécoise ?

Jean-Benoît Nadeau
Collaboration spéciale
Les mousses, dont on trouve des milliers d’espèces, forment une part très importante de la biomasse forestière.
Photo: Getty Images Les mousses, dont on trouve des milliers d’espèces, forment une part très importante de la biomasse forestière.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche: enjeux climatiques

La forêt boréale est moins luxuriante que la forêt tropicale, mais ses sols, eux, sont beaucoup plus riches. Les souches, les troncs, les branches, les racines plus ou moins dégradées, les milliers d’espèces de mousses, les tourbières recèlent plus de carbone que les arbres eux-mêmes. Combien ? Mystère.

« On n’a pas une idée claire du bilan carbone de la forêt boréale, et donc de sa capacité réelle de séquestration. Et on sait encore moins l’impact de l’exploitation forestière sur le carbone contenu dans les sols, de même que l’effet des changements climatiques », explique Xavier Cavard, professeur à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et titulaire de la Chaire de recherche UQAT-MRNF sur la gestion du carbone forestier.

Le chercheur est donc à la tête d’un vaste projet de recherche afin de mesurer la réserve de carbone des sols selon le type d’aménagement forestier. Ce projet part du constat que le Québec, faute de connaître la réserve de carbone des sols, n’est pas en mesure d’exploiter le potentiel de séquestration de la forêt québécoise sous forme de crédits carbone.

« Bizarrement, dit-il, la forêt n’est pas intégrée dans le marché du carbone québécois. Beaucoup d’émetteurs du Québec achètent des crédits californiens de qualité douteuse, mal contrôlés, ce qui encourage une fuite de capitaux. Or, des crédits carbone forestiers pourraient assurer une autre source de revenus à ce secteur, et donc encourager une exploitation plus durable des forêts. »

Une étude complexe

Pour arriver à faire un bilan carbone total de la forêt, il faut donc mesurer le carbone dans le sol. L’idée est excellente. Sauf qu’en pratique, c’est plus compliqué que de creuser un trou à la pelle. Car cette étude mobilise presque toutes les disciplines en sciences de la nature. Il faut combattre le froid, la neige, les feux et les moustiques pour préparer le terrain et déployer tout un tas d’instruments pour cumuler de vastes séries d’échantillonnages — qu’il faut ensuite modéliser et analyser.

La recherche doit aussi tenir compte d’un nombre très varié de techniques de récolte du bois et de sylviculture qui modifient diversement le taux de décomposition et la stabilité du carbone dans le sol. « Certaines plantations vont exiger, par exemple, une préparation mécanique des sols, comme le scarifiage », explique Xavier Cavard. « Cette espèce de labour favorise la croissance des plantes tout en réduisant la compétition, mais elle accélère la décomposition et le relâchement du carbone contenu dans le sol. Or, aucune étude ne considère ces deux aspects sur un même site. »

La diversité de ce qui doit être étudié est impressionnante. Il s’agit d’analyser les taux de carbone à diverses profondeurs, de mesurer la vitesse de dégradation des matières, de quantifier l’effet de la température et du milieu minéral sur ces processus. Il faut aussi pouvoir mesurer la respiration du sol, c’est-à-dire l’échange de carbone entre le sol et l’atmosphère résultant de l’activité microbienne et du travail des racines. Le tout en fonction des événements météo comme les sécheresses, les feux, mais aussi les hivers moins neigeux, par exemple.

L’Institut de recherche sur les forêts de l’UQAT, dont fait partie Xavier Cavard, est le plus gros groupe du genre hors de l’Université Laval. Sa directrice, Nicole Fenton, collabore au projet de recherche de son collègue à titre de spécialiste des bryophytes. Ces mousses, décrites par les termes plus techniques de « sphaignes », « hépatiques » et « anthocérotes », forment une part très importante de la biomasse forestière. « Ça représente des milliers d’espèces, dit-elle. C’est le plus grand groupe de végétaux terrestres après les plantes à fleurs. »

Ces mousses très diverses constituent dans la forêt un tapis vert qui influence l’interaction avec la surface notamment en stabilisant la température, et en capturant beaucoup d’eau. Si le changement climatique ou l’aménagement forestier modifient le type de mousse, quel sera le résultat sur le bilan carbone ? « On va donc étudier l’effet de la réduction de la couche neigeuse sur les mousses, explique Nicole Fenton. J’ai une étudiante népalaise qui doit arriver pour y travailler. Je ne le lui ai pas encore dit, mais elle va pelleter de la neige tout l’hiver pour amincir la couche neigeuse. »

À terme, Xavier Cavard, avec l’aide de ses collègues, espère pouvoir établir divers scénarios de référence selon le type d’exploitation forestière et d’aménagement sylvicole dans divers contextes : repousse naturelle, repousse accélérée, feux, sécheresse, etc.

« Actuellement, la manière dont on gère la forêt est faite selon une logique écosystémique, c’est-à-dire qu’on essaie de reproduire des patrons de perturbation naturelle. » Mais est-ce que l’aménagement écosystémique est compatible avec l’aménagement pour le carbone ? Est-ce que cette approche favorise réellement une séquestration du carbone, ou faut-il essayer autre chose ? « On ne le sait pas encore, mais on veut pouvoir montrer quelles seraient les bonnes pratiques. »

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