La statue de John A. Macdonald ne reviendra pas à la place du Canada

À Montréal, la statue de John A. Macdonald a déjà été décapitée par des militants.
Graham Hughes La Presse canadienne À Montréal, la statue de John A. Macdonald a déjà été décapitée par des militants.

Déboulonnée par des manifestants antiracistes en août 2020, la statue de l’ancien premier ministre du Canada John A. Macdonald ne sera pas réinstallée sur son socle à la place du Canada, a décidé la Ville de Montréal.

Dans un avis final remis à la Ville, un comité d’experts recommande que le monument demeure en place « afin de conserver une trace tangible de l’histoire complète du site et du personnage » sans que la statue de bronze y soit réinstallée. Celle-ci devra toutefois être restaurée et rendue accessible au public dans un autre lieu qui reste à déterminer, suggère-t-on.

Le comité d’experts propose de privilégier une réinterprétation pluridisciplinaire du monument en utilisant des marqueurs physiques ou virtuels. La Ville entend donc lancer un appel à projets en décembre prochain et mettre sur pied un jury de sélection dans les mois suivants afin de retenir une proposition. La Ville prévoit l’installation du projet artistique à la place du Canada en septembre 2024, mais dès cet automne, une plaque explicative sera apposée sur le monument.

Quant à la statue, elle devra être restaurée, mais avant de déterminer la nature des travaux à réaliser, un partenaire institutionnel devra être trouvé pour l’héberger. Un dispositif d’interprétation de la statue sera élaboré pour l’accompagner lorsqu’elle sera exposée au public en 2025. La Ville ignore si elle demeurera propriétaire de la controversée statue ou si elle la cédera à l’institution ou à l’organisme qui l’accueillera.

« C’est un grand jour aujourd’hui parce que nous abordons une question fondamentale pour notre ville et son héritage », a commenté Ericka Alneus, responsable de la culture et du patrimoine au sein de l’administration Plante, lors de la séance hebdomadaire du comité exécutif, mercredi.

Mme Alneus a reconnu que la décision de la Ville risquait de ne pas faire l’unanimité. L’élue a cependant souligné que la démarche entreprise par la Ville ne visait pas à « effacer l’histoire », mais plutôt à la confronter aux valeurs et préoccupations de l’époque actuelle. « L’avenir de cette statue, tout en rappelant une certaine époque, nous invite aussi à être en phase avec notre temps, à poser un regard critique sur notre histoire tout en préservant son héritage. »

Cas d’exception

Ericka Alneus prévient toutefois que la décision prise dans le cas de la statue de Macdonald est « exceptionnelle » et que la Ville n’entend pas remettre en question la présence d’autres monuments ou statues. « C’est vraiment exceptionnel. Et c’est dans les cas de choses graves et offensantes », a-t-elle expliqué. « Ça ne veut pas dire que si quelque chose est déboulonné, ça va rester déboulonné. On va l’étudier et on va prendre la décision la plus éclairée. »

Et cela ne signifie pas qu’il suffit de vandaliser un monument pour enclencher une réflexion sur son avenir. « On condamne le vandalisme », a tenu à dire Mme Alneus.

Rappelons que, dès novembre 2022, dans un avis préliminaire, le comité d’experts recommandait de laisser la structure du monument vide « considérant les politiques assimilatrices et génocidaires qu’il [John A. Macdonald] a mises en oeuvre à l’endroit des peuples autochtones et les actes discriminatoires qu’il a perpétrés envers plusieurs groupes de personnes. »

Accueil froid à Québec

La décision de la Ville de Montréal n’a pas rallié le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe. « Je pense que la position de notre gouvernement est très claire : il ne faut pas réécrire l’histoire. Il faut cohabiter avec cette histoire-là pour le meilleur et pour le pire. Je pense que c’est important », a-t-il dit lors d’une mêlée de presse. Le ministre n’a pas voulu s’avancer davantage, disant qu’il allait « laisser la mairesse faire son travail ».

« On va cohabiter avec le fait qu’il y en a qui seront contents et d’autres qui ne le seront pas », a rétorqué Ericka Alneus. « On est à l’aise d’aller de l’avant et je pense qu’on a pris la décision la plus éclairée. »

Bien qu’elle approuve la décision de l’administration Plante, l’opposition à l’hôtel de ville s’interroge sur la gestion de la Ville des monuments de personnages controversés. « Est-ce que chaque statue déboulonnée fera l’objet d’une étude par un comité ad hoc ? », se demande la conseillère Chantal Rossi, porte-parole en matière de culture à l’opposition. « La Ville de Montréal devrait se doter de directives claires pour statuer sur celles qui méritent d’être maintenues, de devenir un lieu de recueillement, d’être envoyées dans un musée ou de disparaître advenant d’autres déboulonnements. »

Réalisée par le sculpteur britannique John Edward Wade et érigée à place du Canada en 1895, la statue de John A. Macdonald a été la cible d’actes de vandalisme à répétition au cours des dernières décennies. Son déboulonnage et sa décapitation en 2020, survenus lors d’une manifestation sur le définancement de la police, s’inscrivaient dans un mouvement mondial de contestation des monuments érigés à la gloire de héros d’une autre époque. La sculpture était depuis entreposée en attendant que la Ville décide de son sort.

Le comité d’experts qui a formulé des recommandations à la Ville réunit notamment la sénatrice Michèle Audette, André Dudemaine, directeur des activités culturelles de Terres en vues, l’historien Alan Stewart et Dinu Bumbaru, directeur des programmes chez Héritage Montréal.

Avec Marie-Michèle Sioui

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