Demande d’action collective pour abolir les permis fermés des travailleurs temporaires

L’Association pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme a expliqué sa cause aux médias vendredi devant le palais de justice de Montréal.
Jacques Nadeau Le Devoir L’Association pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme a expliqué sa cause aux médias vendredi devant le palais de justice de Montréal.

L’Association pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme (DTMF) demande à la Cour supérieure du Québec d’autoriser une action collective contre le gouvernement fédéral. Elle cherche à faire déclarer les permis fermés, qui lient les travailleurs étrangers temporaires à un seul employeur, contraires à la Charte canadienne des droits et libertés.

« Ça fait longtemps qu’on dénonce les permis fermés et longtemps qu’on se dit qu’on n’est plus à l’étape de demander gentiment aux politiciens de faire mieux », dit Eugénie Depatie-Pelletier, directrice générale de DTMF. Accompagnée d’autres membres du conseil d’administration ainsi que de représentants de centrales syndicales, elle en fait l’annonce vendredi matin devant le palais de justice de Montréal.

Ils ont choisi ce type de recours judiciaires car « personne ne pouvait mener quelque chose d’aussi gros, long et complexe tout seul », explique-t-elle en entrevue au Devoir. Octroyer un permis de travail fermé « n’est pas de la charité », défend-elle, « c’est de la violation de droits humains et on veut que ça cesse ».

Le cas spécifique présenté anonymement sous le pseudonyme A.B. est d’ailleurs celui d’un homme du Guatemala qui a exercé le métier d’attrapeur de volailles au Québec. Il ouvre une fenêtre sur un emploi pénible physiquement et des conditions difficiles, dont des maladies de peau développées au contact des excréments de poulet. Craignant d’être retourné dans son pays d’origine, le travailleur en question n’osait pas se plaindre, est-il écrit dans le document.

L’action juridique vise néanmoins tous les migrants sous permis fermés à travers le Canada et ce, depuis 1982, année où la Charte est entrée en vigueur. Mme Depatie-Pelletier considère que des indications étaient déjà disponibles à l’époque sur l’incapacité des travailleurs migrants à exercer leurs droits.

Dommages réclamés

 

La demande d’action collective que nous avons pu consulter énonce les droits constitutionnels violés selon les plaignants. Il y a d’abord l’article 7 qui concerne le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité : les mesures qui lient un travailleur à un seul employeur « restreignent sa liberté physique et sa capacité à faire des choix de vie fondamentaux en l’empêchant de changer d’employeur ». Plus généralement, ces permis fermés rendent les travailleurs temporaires « complètement dépendants de leurs employeurs pour la préservation de leur statut légal dans le pays ».

C’est ensuite l’article 12 qui est évoqué : il énonce le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. La demande d’ection collective expose l’argument qu’à cause de ses impacts dommageables, le permis fermé est « déshumanisant ».

Enfin, l’association souhaite faire la démonstration devant un juge que l’article 15 sur le droit à l’égalité est également bafoué, puisque les mesures qui encadrent les travailleurs étrangers temporaires s’enracinent dans une « discrimination directe basée sur la race, l’origine nationale ou ethnique et la couleur ». La majorité des travailleurs étrangers agricoles ou à bas salaire au Québec viennent en effet du Mexique et du Guatemala, dont plusieurs avec des origines autochtones.

« Ça prend la capacité de pouvoir dire, je vais partir s’il y a une ligne de franchie. Le droit de changer d’employeur permet d’exiger tous les autres droits », illustre la directrice.

L’association demande aussi réparation financière pour compenser les préjudices subis. Une question de dissuader les gouvernements de remettre ce genre de mesures en place dans le futur, dit-elle.

Ce n’est donc plus une question de tenter de départager « les mauvais employeurs » des bons, mais bien d’attaquer tout un programme de migration « qui crée une sous-classe de travailleurs non libres », explique Mme Depatie-Pelletier.

Une semaine de fronde

 

Le sujet des permis fermés a également occupé les consultations publiques sur la planification de l’immigration à l’Assemblée nationale plus tôt cette semaine, même si la ministre Christine Fréchette avait refusé d’inclure la question des migrants temporaires dans ces discussions.

Les quatre centrales syndicales ont défilé en commission et réclamé d’une seule voix l’abolition des permis fermés. Le député de Québec solidaire Guillaume Rivard-Cliche a aussi déposé une requête de mandat d’initiative afin d’aller au fond de cette question avec les autres partis à l’Assemblée nationale. Le député libéral Monsef Derraji a fait savoir qu’il était favorable à l’initiative.

Recommandation après recommandation, autant des comités de la Chambre des communes que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec ont souligné que le système des permis fermés devait changer. « On espère maintenant ouvrir un débat avec le gouvernement fédéral dans un cadre qui comprend et reconnaît l’importance des droits fondamentaux et qui prend comme référence la constitution du Canada », conclut la directrice de DTMF.

Les regroupements d’employeurs, tant l’Union des producteurs agricoles (UPA) que le Conseil du patronat du Québec, ont soumis par le passé des recommandations au gouvernement pour transformer ces permis en « permis sectoriels » ou encore « multi-employeurs ». La ministre Fréchette s’est dit cette semaine ouverte à discuter davantage de ces idées, ainsi que d’un permis régional.

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