Les forêts québécoises en mal de diversification

Jean-François Venne
Collaboration spéciale
Les professeurs Christian Messier et Olivier Villemaire-Côté appellent à une diversification fonctionnelle de nos forêts. Non seulement nous devons planter beaucoup plus d’arbres, mais nous devons le faire plus intelligemment. iStock
Les professeurs Christian Messier et Olivier Villemaire-Côté appellent à une diversification fonctionnelle de nos forêts. Non seulement nous devons planter beaucoup plus d’arbres, mais nous devons le faire plus intelligemment. iStock

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche: enjeux climatiques

Les feux plus intenses et plus fréquents ne sont que l’un des nombreux périls qui menacent nos forêts, affectées par les changements climatiques et l’augmentation des échanges internationaux. Leur résilience passe par une nouvelle approche en aménagement.

Les gigantesques incendies qui ont ravagé différentes parties du Canada cet été ont marqué l’imaginaire. En date du 29 août, plus de 15 millions d’hectares de forêt ont brûlé, selon le Centre interservices des feux de forêt du Canada, une superficie plus grande que le Portugal et les Pays-Bas réunis. D’après le réseau World Weather Attribution, le réchauffement climatique a rendu sept fois plus probables les conditions météo extrêmes (températures élevées, faibles taux d’humidité) qui ont favorisé la propagation de ces incendies dans l’est du pays.

En règle générale, les forêts boréales se régénèrent assez bien après un feu. Cependant, les changements climatiques pourraient mettre cette capacité à l’épreuve en causant des brasiers plus intenses et surtout plus fréquents. « Prenons l’exemple d’une forêt boréale de l’Abitibi, qui subirait deux gros feux en 20 ans, dit Olivier Villemaire-Côté, professeur adjoint au Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval. Les arbres qui ont commencé à pousser après le premier feu n’auront pas eu le temps d’arriver à leur maturité sexuelle, ce qui peut entraîner un échec de la régénération naturelle après le second feu. »

Les changements climatiques peuvent aussi augmenter la fréquence et l’intensité d’autres événements destructeurs pour les forêts, tels les grands vents et les épisodes de verglas. Par ailleurs, d’autres risques les menacent, notamment les insectes et les champignons. On a déjà vu les dommages que peuvent provoquer des insectes comme l’agrile du frêne, un coléoptère venu d’Asie, ou la maladie hollandaise de l’orme, causée par un champignon.

« On prévoit qu’entre 20 et 30 maladies ou espèces d’insectes pourraient remonter des États-Unis jusque chez nous dans les 30 prochaines années et menacer jusqu’à 40 % de nos essences d’arbre, prévient Christian Messier, professeur au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal. Donc, ce qu’on voit avec le frêne, l’orme et le hêtre n’est que le début. »

Des forêts trop homogènes

Nos forêts commerciales seraient particulièrement vulnérables à ces différents risques en raison de leur trop grande homogénéité. « C’est vraiment le noeud du problème, souligne Olivier Villemaire-Côté. Au fil des ans, nous avons réduit artificiellement la diversité de plusieurs forêts en replantant toujours les mêmes essences après les coupes, comme des épinettes ou des pins. Si un ravageur arrivait et s’attaquait à une de ces espèces, nous pourrions perdre tout le peuplement d’un coup. »

Cette tendance à l’homogénéisation vient en partie de l’industrie, qui tend à replanter les arbres qu’elle exploite dans le commerce, mais aussi des lois et règlements qui encadrent la forêt. Celles-ci obligent les entreprises à replanter des espèces semblables à celles qu’elles coupent, afin d’assurer la durabilité de la ressource sur un horizon de 150 ans. Une vision dépassée, d’après Christian Messier et son collègue Olivier Villemaire-Côté, qui réclament tous deux que l’on utilise au contraire la coupe et l’aménagement forestier pour maximiser la diversité des espèces selon leur capacité à résister aux différents risques. C’est ce qu’on appelle la diversification fonctionnelle. Non seulement nous devons planter beaucoup plus d’arbres, mais nous devons le faire plus intelligemment.

Christian Messier entame d’ailleurs un vaste projet de recherche de cinq ans, financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, plusieurs entreprises forestières et des ministères provinciaux. Il testera son approche de diversification sur 21 sites répartis dans tout le Canada. Sa démarche consiste d’abord à évaluer les forêts pour recenser les espèces qui les composent et les risques qui les menacent.

Cela permet ensuite de sélectionner certaines espèces que l’on pourrait faire entrer pour favoriser la diversification fonctionnelle. Cela pourrait, par exemple, nous amener à planter des espèces qui réagissent plus efficacement aux feux de forêt, comme les pins gris et rouges et le peuplier, dans des zones vulnérables au feu ou encore à mieux distribuer sur le territoire des espèces actuellement très concentrées, telles les érables à sucre dans le sud du Québec.

Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à réfléchir à ces questions. En Allemagne, notamment, des années de grandes sécheresses ont fait mal aux monocultures d’épinettes de Norvège, l’espèce la plus importante pour le commerce du bois dans ce pays. Celui-ci cherche désormais à diversifier ses forêts.

« Nous ne pouvons plus continuer comme avant au Québec et au Canada, avertit Christian Messier. Nous devons nous doter d’un plan très ambitieux, à défaut de quoi nous pourrions voir des forêts disparaître entièrement. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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