Fertiliser et irriguer des plantes grâce aux eaux usées

Jean-Benoît Nadeau
Collaboration spéciale
Les recherches d’Ahmed Jerbi ont permis de constater que les eaux usées, riches en azote et en phosphore, produisent plusieurs effets très désirables sur les saules.
Photo: iStock Les recherches d’Ahmed Jerbi ont permis de constater que les eaux usées, riches en azote et en phosphore, produisent plusieurs effets très désirables sur les saules.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche: enjeux climatiques

Ahmed Jerbi, chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) de l’Université de Montréal, a étudié l’effet de la fertigation par les eaux usées sur des plantations de saules. Les résultats de sa recherche sont prometteurs pour le marché des biocarburants et pour l’environnement.

Pour sa maîtrise et son doctorat, le biologiste Ahmed Jerbi a mené une série d’expériences à Saint-Roch-de-l’Achigan, dans Lanaudière. Il étudiait alors la manière d’utiliser les eaux usées de l’usine d’épuration afin de fertiliser et d’irriguer une plantation de saules. Cet arbre, qui exige beaucoup d’eau et de nutriments, pousse très vite, ce qui le rend intéressant pour divers usages commerciaux, tels les copeaux isolants, les amendements organiques ou les clôtures végétales.

Ses recherches ont permis de constater que les eaux usées, riches en azote et en phosphore, produisent plusieurs effets très désirables sur la plante elle-même. D’abord, une augmentation très importante de la biomasse, de plus de 200 %. « On peut voir à l’oeil nu que les feuilles sont trois fois plus grosses. Et ses stomates [les orifices minuscules qui permettent à la feuille de respirer] sont 15 % plus gros également », explique Ahmed Jerbi.

Mais la grande surprise est venue d’une autre transformation, de nature physicochimique : la fibre du bois avait gagné 16 % de glucose. « Cette augmentation importante permet d’envisager une transformation en biocarburant », explique-t-il.

Le troisième constat est que la filtration écologique des eaux usées par les plantes fonctionne. À débit normal, le système racinaire des saules filtrait absolument tout l’azote et le phosphore. « Et à haut débit, de l’ordre de 30 000 m3 à l’hectare, le lessivage était certes plus élevé, mais il demeurait en deçà des normes », explique Ahmed Jerbi.

Servir l’environnement et valoriser

Son directeur de thèse, Frédéric Pitre, professeur à l’Université de Montréal et membre de l’IRBV, explique que le travail d’Ahmed Jerbi s’inscrit dans un effort de l’Institut pour lier le traitement des eaux usées par phytotechnologie et la valorisation de la biomasse, pour augmenter la productivité des plantes irriguées.

« Ahmed a réalisé un travail novateur de longue haleine, qui impliquait beaucoup de mesures au champ, et qui exigeait autant de grimper dans les arbres que de travailler au microscope. Et ses résultats, très intéressants, sont transférables vers des applications futures. »

Depuis 20 ans, le développement de la filière de biocarburant à base de maïs — aussi appelé biocarburant de première génération — soulève la polémique. « Est-ce qu’on utilise les terres agricoles pour nous nourrir ou pour du carburant ? Les biocarburants de deuxième génération, à partir du bois ou de résidus forestiers, nous sortent de ce dilemme, explique Frédéric Pitre. Pour le Québec, qui a décidé de ne pas produire de biocarburant à base de maïs, c’est une filière en développement. »

« Une augmentation de 16 % de la quantité de glucose ouvre des perspectives intéressantes, mais l’industrie devra encore franchir plusieurs étapes », convient Ahmed Jerbi. « Mais malgré la volonté d’électrifier les transports, il se peut qu’on ait besoin encore longtemps de biocarburants pour des utilisations et des procédés à haute puissance. »

« Mais quoi qu’il advienne de la filière des biocarburants, l’augmentation très importante de la biomasse constatée par Ahmed Jerbi permet de montrer qu’il est possible de hausser considérablement le rendement d’une saulaie tout en rendant un réel service environnemental par la filtration », dit Frédéric Pitre.

Ahmed Jerbi souligne quelques statistiques qui font frémir : le Québec produit annuellement le tiers des 6 trillions de litres d’eaux usées au Canada. De quoi couvrir cinq fois l’île de Montréal sous un mètre de liquide malodorant. « Quand on sait que 60 % de ces eaux usées sont rejetées dans la nature sans traitement biologique, le Québec devrait envisager les phytotechnologies à grande échelle. »

Stratégie québécoise d’économie de l’eau potable

En matière d’économie d’eau potable, les Québécois ont encore bien des croûtes à manger. Leur consommation moyenne, de l’ordre de 521 litres par personne par jour, est 40 % plus importante que la moyenne ontarienne.

Le gouvernement du Québec a donc institué une nouvelle Stratégie d’économie de l’eau potable 2019-2025, pour faire suite aux précédentes, dont la première remontait à 2001.

En mai, le ministère des Affaires municipales et la Fédération québécoise des municipalités ont donc profité de l’arrivée des beaux jours pour réclamer du public un usage plus responsable du robinet. Les municipalités seront certes mises à contribution pour colmater les fuites et contrôler l’utilisation de l’eau, mais on demande également aux résidents d’utiliser systématiquement l’eau de pluie récupérée pour l’arrosage, et un meilleur entretien des piscines pour en réduire la vidange et les fuites.

Il reste bien du chemin à parcourir, car le relâchement est marqué depuis plusieurs années. Les stratégies précédentes avaient pourtant connu de beaux résultats : entre 2001 et 2011, par exemple, la consommation avait diminué de 777 litres à 620 litres, pour atteindre 530 litres en 2017. Mais les derniers chiffres disponibles dans le rapport d’usage de l’eau potable 2020 montrent que la consommation plafonne autour de 525 litres d’eau par an chaque année depuis 2017.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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