Échauffourée autour des toilettes

La rentrée parlementaire de l’automne 2023 aura été marquée à Québec par une échauffourée sur les toilettes à l’école. Loin des préoccupations vécues par les jeunes trans et non binaires, dont il a été question, ce type de débat stérile et forgé sur des approximations ne fait qu’accentuer les stigmates et les préjugés. S’il faut débattre de ces questions, espérons un peu plus de rigueur et de nuance dans les échanges.

Un retour aux faits s’impose, pour faire éclater la bulle de surréalisme qui a enveloppé la classe politique la semaine dernière. Ce sont des questions de sécurité qui ont incité l’école secondaire d’Iberville, située à Rouyn-Noranda, à opter pour des blocs sanitaires mixtes constitués de cabines entièrement fermées, du sol au plafond, et situées dans un corridor vitré. Les questions de diversité de genre ne sont donc pas à l’origine de ce changement, comme le débat l’a laissé croire. Oui, la cabine neutre viendra solder des problèmes de sécurité, mais, s’il le faut, elle offrira aussi à des jeunes trans et non binaires un espace non genré.

L’intimidation à l’école, ça vous dit quelque chose ? On a fait des campagnes entières d’intervention et de sensibilisation afin que les écoles s’outillent pour contrer ces actes de violence perpétrés à l’endroit des enfants, tous profils confondus. Qu’une école fasse de la sécurité de ses élèves une de ses priorités en aménageant de meilleure manière les espaces sanitaires ne devrait pas dériver sur un débat idéologique partisan, déconnecté des préoccupations du terrain.

Dans le grand bain du wokisme, qu’on accuse désormais de mouiller un tout et un rien, on a plongé, ces derniers mois, l’école. Les tenants d’une rumeur qui maintient que l’école mène une mission idéologique sur la théorie du genre sonnent désormais l’alarme à la moindre anecdote, contribuant souvent à déformer le réel et à créer une crise là où il n’y en a pas. On a vu ces chantres d’un certain conservatisme s’agiter autour de l’heure du conte menée par des drag queens ou encore la manière d’interpeller Mix Martine, une personne enseignante non binaire. Chaque fois, remonter le fil de ces histoires a montré que l’enflure politique et médiatique avait largement dépassé le réel. N’a-t-on rien appris de Bouchard-Taylor ? Ces sages avaient démontré, en 2008, que la vaste majorité des « scandales » à saveur d’accommodements raisonnables avaient en réalité été montés en épingle ou complètement déformés notamment par les médias, venant alimenter la polémique sur fond de fiction. Il semble que nous assistions en ce moment au même phénomène.

Outre les médias, les politiciens ont la responsabilité de laisser les nuances maîtriser leurs réactions et leur discours, pour calmer le jeu. Pourquoi le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, n’a-t-il pas eu tout simplement le réflexe de militer pour un certain recul et un temps d’examen avant de lancer que non, les toilettes mixtes, « on ne veut pas aller là », au contraire de ce que son propre ministère prône ? Pourquoi le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a-t-il jeté de l’huile sur le feu en affirmant que « beaucoup d’idéologies de la gauche radicale […] sont imposées » en ce moment et que l’Assemblée nationale doit s’en mêler ? Heureusement, des voix ont appelé au calme. « Le débat se polarise sans raison », a avancé la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron. « Les politiciens devraient laisser ces enfants-là tranquilles », a renchéri le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois.

C’est à lui d’ailleurs que revient le mérite d’avoir rappelé l’essentiel : les enfants trans et non binaires, si minoritaires soient-ils au sein de l’école et de la société, n’en vivent pas moins des réalités dramatiques. Il a été démontré que ces jeunes constituent un groupe particulièrement vulnérable et sont à risque de détresse psychologique, d’idéations et de tentatives de suicide, d’automutilation et de violence verbale, physique et psychologique. Discuter des mesures de soutien destinées à ces enfants ne devrait pas mener à les ostraciser davantage ! Il semble que nous sombrions totalement dans ce piège.

Les questions d’identité de genre nous forcent à réfléchir comme société, mais il faut le faire dans des conditions propices à l’évolution plutôt qu’au recul. Si les tentatives d’inclusion proposées par certaines écoles et basées sur la science se transforment dans le débat public en commando militant pour imposer une idéologie à l’école, nous n’aurons pas fait grand chemin en matière d’inclusion et de respect des différences. C’est pourtant une des missions clés de l’école, et elle s’en est faite la fière défenderesse au fil des années, comme en font foi toutes les campagnes de sensibilisation et d’éducation autour de l’orientation sexuelle et de la stigmatisation subie par les communautés LGBTQ+.

On a entendu des appels au débat démocratique, aux commissions parlementaires et vu le ministre de l’Éducation reléguer l’examen de ces questions aussi délicates qu’importantes à un comité scientifique. Peu importe la forme que prendra la réflexion, elle doit reposer sur des faits et contribuer à servir les jeunes trans et non binaires dans un esprit d’ouverture et d’inclusion.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

À voir en vidéo