Le «gros bon sens» est une valeur fragile pour les conservateurs

Lors de leur congrès du « gros bon sens » tenu à Québec, le week-end dernier, les militants conservateurs ont adopté une série de motions qui ont de quoi laisser pantois en ce qui a trait à leur sens des priorités. Ce sera à leur chef, Pierre Poilievre, de tenir la ligne du pragmatisme raisonné s’il souhaite offrir une véritable solution de rechange à Justin Trudeau, un premier ministre usé.

Les problèmes ne manquent pas à Ottawa. Les finances publiques sont chancelantes, la bureaucratie fédérale éprouve des difficultés à assurer la constance dans la prestation des services, la nécessaire lutte contre l’inflation fait mal aux ménages avec le resserrement des taux hypothécaires, l’accès au logement et à la propriété souffre d’une pénurie chronique, que les libéraux pensent améliorer par la pensée magique avec un apport migratoire effréné, l’ingérence chinoise débouche enfin sur une véritable commission d’enquête qui placera les libéraux encore plus sur la défensive… Et ainsi de suite.

Les sondages ne font pas un gouvernement, mais ils offrent tout de même de puissants signes avant-coureurs d’un désastre en formation. La popularité de Justin Trudeau, qui est pourtant l’un des ingrédients essentiels de la recette libérale, est en chute libre. Selon le dernier sondage Abacus Data, 53 % des répondants ont une impression négative de M. Trudeau. Celui-ci « pourrait ne plus être un atout pour son parti dans sa quête pour remporter une autre élection », observe le président de la firme, David Coletto.

Mais avant de tirer un trait sur les chances de réélection de Justin Trudeau, gardons-nous une petite gêne. C’est un bagarreur qui a su revenir de l’arrière auparavant et qui se révèle dans toute sa superbe, sur le terrain, lors des campagnes électorales. Les libéraux sont par ailleurs maîtres dans l’art de diaboliser le Parti conservateur du Canada (PCC) et le dépeindre comme un croisement entre un parc jurassique et une coterie du Moyen Âge. À en juger par certaines motions adoptées lors du congrès, les militants ont la mémoire courte, et l’entêtement idéologique profond.

La route vers le pouvoir n’a jamais paru aussi dégagée pour le PCC, mais ses militants s’obstinent à emprunter les voies sinueuses du conservatisme social. En fin de semaine, ils ont notamment adopté une motion pour interdire aux personnes mineures qui changent d’identité de genre toutes formes d’interventions médicales ou chirurgicales qui « changent la vie ». Ils ont aussi adopté une motion interdisant aux femmes transgenres, ou quiconque n’est pas de sexe féminin, l’accès aux toilettes, aux vestiaires et aux prisons pour femmes. Les conservateurs ont également jugé utile d’adopter une motion sur le refus vaccinal, évoquant le droit à l’autonomie corporelle. Il a même été question d’obtenir des vaccins « qui ne violent pas les croyances religieuses », comme si la science était soluble dans la foi.

Les transgenres et les vaccins. Vraiment ? Avec de telles priorités, le « gros bon sens » des militants conservateurs laisse à désirer. Rien ne garantit que ces résolutions feront partie de la plateforme électorale. À cet égard, le PCC ne diffère pas des autres formations politiques, qui ont aussi des ailes militantes désinvoltes face aux valeurs de pragmatisme sur lesquelles s’érigent les gouvernements majoritaires.

Le congrès se termine bien pour Pierre Poilievre, qui a su garder le cap sur ses sujets de prédilection, l’économie et l’inflation. Il a bien précisé qu’il n’aurait pas les mains liées par les propositions des militants pour construire sa plateforme, mais il a encore un travail de persuasion à faire pour rallier les électeurs.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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