Le congrès conservateur représente un test de valeurs pour Poilievre

La tactique monothématique du chef conservateur Pierre Poilievre, qui ne parle que d’économie et du coût de la vie en esquivant tout autre sujet potentiellement litigieux, s’apprête à être contrecarrée par les mêmes militants qui l’ont porté à la tête du parti il y a bientôt un an. Le congrès conservateur, qui se tiendra à Québec la fin de semaine prochaine, sera le théâtre de débats sociaux qui pourraient révéler un parti aux antipodes des valeurs d’électeurs — notamment et surtout québécois — que l’équipe Poilievre veut et doit courtiser. Un premier test qui sera déterminant pour le chef.

Au menu des 60 propositions soumises au congrès, deux d’entre elles s’inspirent d’une lutte menée contre les minorités transgenres aux États-Unis et reprise au Canada par Maxime Bernier. Des militants voudraient ainsi « protéger les enfants en interdisant les interventions médicales ou chirurgicales qui changent la vie […] pour traiter la confusion de genre ou la dysphorie ». Au nom de l’égalité des « personnes de sexe féminin » dans le sport, des conservateurs revendiquent des catégories sportives « réservées aux femmes » ainsi que le droit de ces dernières « à la sécurité, à la dignité et à l’intimité » dans « des espaces non mixtes », par exemple les prisons, les vestiaires ou les toilettes.

Pierre Poilievre a pris soin d’éviter de se prononcer publiquement sur ces questions. Derrière des portes qu’il croyait closes, cependant, le chef a appuyé l’interdiction, par deux provinces, de voir des élèves changer de pronom à l’école sans le consentement parental. En évoquant la liberté de religion, M. Poilievre a dit souhaiter que « chaque parent ait la liberté d’élever ses enfants selon ses propres valeurs ». Les trois quarts des Canadiens seraient du même avis, à divers degrés, selon Angus Reid.

Cette tendance de M. Poilievre à exprimer le fond de sa pensée en privé seulement n’a pas de quoi rassurer ceux qui hésitent à lui faire confiance. Les extraits de ses aveux captés à son insu sont autant de munitions en réserve pour ses adversaires.

Les militants conservateurs débattront par ailleurs de la vaccination obligatoire et de « l’autonomie corporelle ». Et rappelleront du même coup l’appui de M. Poilievre aux « convois de la liberté » dénonçant les mesures sanitaires de la pandémie. Une autre résolution s’oppose aux ateliers de sensibilisation à la diversité et à l’inclusion en milieu de travail, un « endoctrinement idéologique » jugé « de nature totalitaire ». La lutte pour le droit à l’avortement n’est pas en reste. Il est proposé de renier la promesse qu’un gouvernement conservateur n’appuierait pas de loi visant à encadrer l’avortement.

Voilà pourtant la certitude servie par M. Poilievre pour apaiser les craintes de la majorité de citoyens proavortement. Mais le chef joue sur deux tableaux. S’il s’engage à ne pas appuyer de projet de loi resserrant l’accès à l’avortement, il permet aux 40 % de ses députés antiavortement de déposer un projet de loi privé si l’un d’eux le souhaite.

Ce genre d’esquive ne peut devenir la politique universelle du Parti conservateur. Sur toutes ces questions de valeurs soulevées par ses militants, le chef devra trancher et assumer une position claire.

Sa métamorphose, de bagarreur hargneux en père de famille à l’écoute du citoyen, semble lui profiter jusqu’ici. Même peut-être au Québec. Un jour ou l’autre, l’aspirant premier ministre devra toutefois cesser de courtiser au centre droit, à droite, puis à l’extrême droite, et décider où il loge. Le louvoiement n’est pas une offre électorale acceptable.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

À voir en vidéo