L’appétit de savoir

On apprenait ces jours-ci que Québec solidaire va présenter à l’Assemblée nationale une motion pour éliminer la faim dans nos écoles d’ici 2026.

Cette proposition devrait, doit faire l’unanimité, et cela pour des raisons que Le Devoir, il y a deux jours, rappelait fort bien.

Prévert l’aurait dit

De mon côté, ça ne vous étonnera sans doute pas, c’est un poème de Prévert qui m’est aussitôt venu en tête. Vous le connaissez peut-être. En voici le début :

Il est terrible / le petit bruit de l’oeuf dur cassé sur un comptoir d’étain / il est terrible ce bruit / quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Mais cela devenait vite chez moi : il est terrible, l’étourdissant bruissement de la faim, il est terrible quand il résonne si fort dans la tête de l’élève qu’il l’empêche d’entendre, et encore plus de comprendre l’enseignante qui pourtant rappelle en ce moment même cette si chouette manière de retrouver la table de multiplication par 9.

Bref, et paradoxe à part, l’appétit de savoir que doit nourrir l’école ne peut naître et grandir que si on n’y a pas faim.

L’égalité des chances

Il y a dans ce dossier un idéal à ne pas négliger : celui de l’égalité des chances, qui est une valeur que l’on aspire partout à défendre et que, pourtant, on doit faire exister à l’école, du moins si on prend au sérieux l’idéal démocratique.

Or, avant même d’y arriver, simplement par les conditions dans lesquelles ils et elles vivent, des élèves sont déjà, sur bien des plans, en situation d’injustes et cruelles inégalités par rapport à leurs confrères et consoeurs. Et je soupçonne — et bien des indices confirment ce soupçon — que les hausses des prix des aliments que nous connaissons en ce moment aggravent encore une situation qui était déjà tragique.

Dans ce dossier, c’est sans surprise que l’on apprend que diverses études, comme celle de Cook et Jeng pour Feeding America, ou celle de Johnson et Markowitz publiée dans Child Development, ont rappelé (mais Prévert nous l’aurait dit…) combien la faim et l’insécurité alimentaire, en mettant à mal des choses comme la capacité de se concentrer, la mémoire, l’humeur et la motricité, ont un impact négatif sur les performances scolaires.

Plus concrètement, des enseignantes, chez nous, rapportaient soupçonner de l’insécurité alimentaire quand ils voyaient que des élèves ne participent pas aux activités ; sont fatigués ou s’endorment tôt le matin ; se resservent plusieurs fois ou cachent de la nourriture pour en ramener à la maison quand celle-ci est offerte par l’école ; et observent les collations ou les dîners des autres avec envie.

Ce respect de l’égalité des chances, joint au simple fait qu’il est déjà moralement inconcevable que des enfants ne mangent pas à leur faim dans une société riche comme la nôtre, doit nous amener à tout mettre en oeuvre pour éliminer la faim dans nos écoles d’ici 2026. Tout le monde et tous les partis politiques devraient donc appuyer la proposition de Québec solidaire, qui doit faire consensus au-delà de toute partisanerie.

Il restera certes des problèmes techniques à résoudre et des débats à tenir. Comment les menus prendront-ils en compte des choses comme les allergies, les restrictions alimentaires éthiques (végétarisme, véganisme, écologisme) ou religieuses, et j’en oublie sans doute. Et bien d’autres.

Mais le principe de mettre fin à la faim dans les écoles ne peut pas ne pas être vite adopté, et on doit vite commencer à agir pour mettre en place ce qui s’ensuit. Ce qui pourrait aller avec des choses auxquelles on ne pense pas beaucoup en ce moment. Il y a un intéressant lieu à fréquenter pour en apprendre là-dessus.

Ce qui se fait déjà et ce qui pourrait se faire

L’équipe du LAB-École a en effet récemment publié sur ces questions un fort intéressant ouvrage : Cultiver, cuisiner et manger ensemble à l’école.

On y retrouvera de belles propositions et un précieux bilan de ce qui se fait déjà de bien sûr ce terrain : car des choses se font et il faut les rappeler. Des ressources existent dans les centres de services scolaires ; des organismes proposent de l’aide financière et humaine pour des projets liés à l’alimentation (AgrÉcoles, Ateliers cinq épices, Collectif québécois pour une saine alimentation scolaire, Coalition poids, et bien d’autres). Toutes peuvent aider à rapidement mettre en place ce qui s’impose.

Et des choses se font déjà et pourraient se généraliser pour intégrer l’alimentation et même l’agriculture à l’école.

En ouverture de ce livre, Ricardo écrit : « Aujourd’hui, maintenant, faisons en sorte d’offrir les infrastructures et les ressources humaines et financières nécessaires à la sécurité alimentaire de tous les enfants. Transformons nos écoles québécoises en de véritables milieux de vie, où l’alimentation et l’agriculture deviennent des outils pour la vie. » Ces propos sont plus que jamais d’actualité.

Seul l’appétit de savoir peut entrer à l’école. La faim n’y a pas sa place.

Docteur en philosophie, docteur en éducation et chroniqueur, Normand Baillargeon a écrit, dirigé ou traduit et édité plus de soixante-dix ouvrages.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.



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