Les écoliers ont faim

C’est joli de parler de nos enfants au futur et même essentiel de monter aux barricades pour assurer leur avenir. Mais il ne faudrait pas oublier d’y penser aussi au présent. Ils sont des dizaines de milliers d’écoliers québécois à avoir faim, ici, maintenant. Et que fait-on devant cette urgence ? On planifie des calendriers d’aide alimentaire déconnectés et on jongle avec des programmes pétris de bonne volonté, mais limités et mal arrimés. Une honte !

Le Journal de Montréal nous apprenait cette semaine que les élèves des milieux défavorisés du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) devront attendre jusqu’au 2 octobre pour avoir droit au repas du midi à 1 $. Problème d’arrimage ? Retard involontaire ? Pas vraiment. À preuve, le précieux programme de soutien alimentaire finira le 7 juin, soit bien avant que la fin des classes ne sonne.

Dans l’intervalle, le CSSDM assure qu’aucun enfant ne sera laissé de côté grâce aux autres programmes de soutien alimentaire offerts çà et là dans ses écoles dans le besoin. Ça, c’est pour la théorie, car l’inflation a passablement grugé la marge de manoeuvre de ces mêmes écoles.

Déjà l’an dernier, nombre d’entre elles s’étaient résignées à couper dans le gras, puis dans le muscle, en espaçant la distribution de lait et de collations (toujours pas commencé dans nombre d’écoles, d’ailleurs !) et en faisant des compromis nutritionnels. Bye bye fruits frais et grains entiers, bonjour compotes et biscuits industriels riches en calories… vides !

Il faudrait se contenter de si peu sans protester ? Même en temps normal, il est bien documenté que le taux d’insécurité alimentaire est considérablement et systématiquement plus élevé chez les enfants que dans le reste de la population. Quand le coût de la vie s’emballe en entraînant avec lui l’insécurité alimentaire, ce sont fatalement eux que l’on retrouve en plus grand nombre sur la ligne de front.

En 2021, Statistique Canada estimait que plus du cinquième des enfants québécois vivaient une forme ou une autre d’insécurité alimentaire, et près de 12 % en subissaient une forme modérée ou grave. C’était avant que le prix du panier d’épicerie ne parte en vrille. Quand on sait les dommages que cause un ventre vide, mal nourri ou bourré de calories vides sur la croissance, la santé et les apprentissages, on ne peut que réclamer des solutions immédiates et pérennes.

Tous les organismes appelés à remplir les ventres creux martèlent le même constat : la faim frappe plus de monde, plus durement et bien au-delà des poches de pauvreté habituelles. Il faut mesurer les impacts que ces pressions supplémentaires ont sur les indices de défavorisation des écoles. Déjà décriés par le passé, ces indices ont rarement paru aussi décalés et imparfaits qu’aujourd’hui aux gens sur le terrain. La solution la plus structurante est aussi peut-être la plus simple : évaluer la pertinence d’instaurer un programme national d’alimentation scolaire.

Trop riche pour ça, le Canada ? C’est mal comprendre les visées et les vertus d’un tel programme adopté par tous les pays du G7 et une majorité de pays de l’OCDE… sauf le Canada. En plus de combattre la faim, un programme national d’alimentation scolaire permet d’agir sur la santé générale des jeunes en prônant de saines habitudes de vie et en inculquant des bases essentielles en alimentation. Il peut aussi donner un coup de pouce significatif aux agriculteurs si on le jumelle à l’exigence d’offrir des produits locaux. Pas mal, non ?

En 2019, le gouvernement Trudeau avait sorti un programme exactement comme celui-là de ses cartons. Il y avait même eu des consultations dans la foulée. Avec la vie chère, on se demande bien ce qui empêche Ottawa de sortir ce lapin de son chapeau. Le désir de ne pas outrepasser ses champs de compétence, peut-être ?

Ce serait en effet à Québec de s’y attaquer, bien sûr. Mais l’idée se heurte à la résistance du ministre de l’Éducation. Plus tôt ce mois-ci, Bernard Drainville a défendu la vigueur de l’aide caquiste en ces matières, laquelle est passée de quelque 9 millions de dollars à plus de 50 millions de dollars. C’est significatif, mais le Québec peut faire mieux. D’autant que la marche n’est pas si haute.

Dans une étude fouillée, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques a estimé qu’un programme visant à offrir un repas gratuit par jour aux 982 000 élèves des écoles publiques du Québec coûterait 1,7 milliard de dollars par année. Toutes proportions gardées, cela équivaut grosso modo à la baisse d’impôts accordée aux contribuables dans le budget Girard de 2023 ou à la moitié des versements prévus au Fonds des générations cette année.

C’est un pensez-y-bien. Le fruit est mûr pour une réévaluation urgente de nos besoins, programmes et objectifs en matière de sécurité alimentaire. Plutôt que de se déchirer sur d’hypothétiques toilettes mixtes, recentrons nos énergies autour de ce défi. Nourrir l’avenir, au sens premier du terme, ne se reporte pas à demain.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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