Il faut aller au-delà du «pas dans ma cour»

Les nouvelles s’entrechoquent au point où il est impossible de ne pas les croiser. Au moment où la Direction régionale de santé publique de Montréal ouvre une enquête sur au moins huit surdoses survenues dans le même secteur potentiellement causées par du fentanyl, un groupe de citoyens de Saint-Henri se mobilise contre l’arrivée d’un centre d’injection et d’inhalation supervisées dans son quartier, à proximité d’un parc et d’une école primaire.

Personne ne remettra en question la gravité de la situation des surdoses d’opioïdes à Montréal, qui prend des proportions inquiétantes. On trouvera même quelques forts consensus autour des effets positifs de centres d’injection supervisés, comme Cactus par exemple, sis au centre-ville. Mais… les accommodements et l’ouverture risquent d’en prendre pour leur rhume dès lors qu’un tel projet, à propos duquel en théorie on trouve matière à applaudir, atterrit dans l’environnement de citoyens soudainement énergiquement opposés à son existence. Loin des yeux, près du coeur.

Ce phénomène du « pas dans ma cour » est sociologiquement très documenté, et il ne date pas d’hier. Bien qu’on le croise désormais de plus en plus souvent autour de projets destinés à diminuer le recours aux énergies fossiles — un projet de parc éolien, par exemple, aura tôt fait de provoquer un tollé chez les voisins potentiels de ces immenses géants du ciel —, c’est principalement dans le champ de l’inclusion sociale que l’on retrouve les protestations les plus véhémentes de la population touchée. Les inquiétudes s’articulent presque toujours autour d’enjeux de criminalité, de sécurité et de santé publique.

Le projet de la Maison Benoît Labre, dans Saint-Henri, illustre de manière parfaite le combat intérieur qui se joue chez un groupe de citoyens fortement opposés à l’établissement du premier centre d’inhalation supervisée de drogues à Montréal. Interrogés ces derniers jours par les journalistes, tous se disent absolument préoccupés par l’épidémie de surdoses faisant plus de décès que jamais dans la métropole et sont dans l’absolu très favorables à l’ouverture de centres d’injection et d’inhalation supervisées. Mais il n’est pas question que ledit projet atterrisse dans leur cour, ce qui est le cas.

Les protestations des citoyens visent directement le fait que le centre, qui est très avancé, est construit à moins de 100 mètres de l’école primaire Victor-Rousselot et d’un petit parc très fréquenté par les enfants.

Les résidents du quartier craignent que la portion « injection et inhalation supervisées » ne transforme le quartier en une zone de trafic de stupéfiants et fragilise la sécurité physique de leurs petits. Les détracteurs du projet en ont contre la proximité du centre avec l’école. Les tenants ripostent : mais où est-il, ce lieu idéal pour faire fleurir les projets d’inclusion sociale ? À moins de les excentrer de manière ridicule, ils sont destinés à être au coeur battant et vibrant de la ville, là où les enjeux sociaux se transforment désormais en crise sanitaire.

Il faut applaudir à des initiatives comme celle de la Maison Benoît Labre, qui offrira pour la première fois à Montréal aux toxicomanes un centre où il sera possible non seulement de pratiquer l’injection de manière sécuritaire, mais aussi l’inhalation de drogues comme le fentanyl, la méthamphétamine en cristaux et le crack. Le centre proposera des services selon un principe circulaire, de l’hébergement à l’injection sécuritaire, en passant par la nourriture et des activités en centre de jour.

Le projet de construction d’une quarantaine d’unités est situé aux abords du marché Atwater. Ses idéateurs fondent l’espoir qu’en offrant le combo milieu de vie et espace de consommation sécuritaire, ils permettront non pas de venir noircir le portrait du quartier, mais bien au contraire de l’améliorer en offrant un encadrement. Nous voulons croire que c’est précisément ce genre de projet d’inclusion sociale qui permet à la fois de participer à l’éradication d’une crise et de contribuer à détruire les stigmates pesant sur une population itinérante et toxicomane croissante à Montréal.

Bien sûr, des « conditions gagnantes » doivent être mises en place, mais c’est ce à quoi s’engage apparemment la communauté oeuvrant autour de la Maison Benoît Labre : des communications destinées aux citoyens, des efforts de consultation, une promesse de surveillance et de sécurité accrues aux environs de la résidence, en plus d’opérations de nettoyage. Les tenants du projet peuvent encore miser sur le renforcement de relations constructives avec les citoyens du coin, histoire de dégonfler les appréhensions qui pour l’heure se conjuguent au pire.

Déplacer le « problème » ailleurs ? La chose n’est pas possible, et on ne ferait que croiser ailleurs la même réaction — humaine — d’appréhension associée principalement à la peur. Des initiatives comme celles de la Maison Benoît Labre font peut-être craindre le pire lorsqu’on les rencontre à l’étape du projet, mais elles fleurent bon l’espoir et la participation à la résolution d’une crise d’envergure à Montréal. Soutenons-les.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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