Le p.-d.g. d’une pétrolière dirigera la COP28

Le sultan Ahmed al-Jaber est le président-directeur général de la principale entreprise pétrolière nationale des Émirats arabes unis, l’Abu Dhabi National Oil Company.
Agence France-Presse Le sultan Ahmed al-Jaber est le président-directeur général de la principale entreprise pétrolière nationale des Émirats arabes unis, l’Abu Dhabi National Oil Company.

Après une année 2022 marquée par les conséquences climatiques de plus en plus graves de notre dépendance aux énergies fossiles, la présidence de la prochaine conférence climatique de l’ONU (COP28) devrait être confiée jeudi à un haut dirigeant de la principale entreprise pétrolière des Émirats arabes unis, le sultan Ahmed al-Jaber. Ce dernier a souvent plaidé pour une hausse substantielle des investissements dans l’exploitation pétrolière et gazière.

Puisque la COP28 se tiendra aux Émirats arabes unis, à la fin de 2023, il revient à cet État monarchique de nommer la personne qui présidera cette conférence cruciale pour la lutte mondiale contre la crise climatique, qui accuse toujours de sérieux retards, sept ans après la signature de l’Accord de Paris. Dans ce contexte, le président du sommet onusien doit jouer un rôle important, soit celui d’inciter les 196 délégations à faire preuve de davantage d’ambition en matière de réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Selon toute vraisemblance, le titre de président des négociations climatiques prévues cet automne à Dubaï sera accordé jeudi au sultan Ahmed al-Jaber, qui agit actuellement comme envoyé spécial pour les changements climatiques pour les Émirats arabes unis.

Ce dernier est aussi le président-directeur général de la principale entreprise pétrolière nationale du pays, l’Abu Dhabi National Oil Company, dont le chiffre d’affaires annuel dépasse les 60 milliards de dollars. Cette multinationale, la douzième compagnie pétrolière en importance dans le monde, est notamment spécialisée dans la commercialisation d’opérations de forage, le raffinage de pétrole et les projets de gaz naturel liquéfié.

Elle régit une bonne partie de l’exploitation pétrolière dans le pays, et détient actuellement une capacité de production quotidienne totale de plus de 4 millions de barils de pétrole. Elle prévoit aussi augmenter cette capacité jusqu’à plus de 5 millions de barils par jour d’ici 2030.

À la défense du pétrole

Le sultan est d’ailleurs un ardent défenseur du développement du secteur pétrolier et gazier. En novembre dernier, dans le cadre d’un discours prononcé lors de l’Exposition et conférence internationale sur le pétrole d’Abou Dhabi, il plaidait pour le développement accru des énergies fossiles au cours des prochaines années.

« Le monde a besoin de toutes les solutions possibles. Il s’agit du pétrole, du gaz, de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne et nucléaire, de l’hydrogène et des énergies propres encore à découvrir, à commercialiser et à déployer », a-t-il fait valoir à la tribune de ce sommet, qui réunissait les plus grandes entreprises d’énergies fossiles de la planète.

Qu’un dirigeant du secteur fossile préside une conférence visant à résoudre la crise climatique serait absolument loufoque

 

« Nos efforts devraient se concentrer sur une nouvelle voie audacieuse, réaliste et pragmatique qui profite à l’humanité, au climat et à l’économie, a ajouté celui qui est aussi président de Masdar, une entreprise d’Abou Dhabi spécialisée dans les énergies renouvelables. Nous devons limiter les émissions [de gaz à effet de serre], et non les faire augmenter. »

En 2021, celui qui présidera la COP28 avait aussi déploré le manque d’investissements dans le développement de nouveaux gisements pétroliers et gaziers : « L’industrie pétrolière et gazière devra investir plus de 600 milliards de dollars chaque année jusqu’en 2030, ne serait-ce que pour répondre à la demande prévue. »

Notre dépendance aux énergies fossiles est cependant en voie de nous conduire vers un véritable naufrage climatique. Selon un rapport publié en mai 2021 par l’Agence internationale de l’énergie, il faudrait abandonner tout nouveau projet d’exploration et d’exploitation d’énergies fossiles pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et limiter le réchauffement mondial à 1,5 °C. À l’heure actuelle, les engagements pris par les pays signataires de l’Accord de Paris nous conduisent plutôt vers un réchauffement d’au moins 2,5 °C, selon l’ONU.

Qui plus est, des données publiées à l’automne 2022 par l’Agence internationale de l’énergie indiquent que les émissions mondiales de gaz à effet de serre imputables à la combustion d’énergies fossiles ont augmenté de 300 millions de tonnes en 2022, pour atteindre 33,8 milliards de tonnes. L’année dernière a aussi été marquée par un recours record au charbon, le pire des combustibles fossiles. Pas moins de 8 milliards de tonnes ont été brûlées.

Critiques

Avant même la confirmation de la nomination du président de la COP28, le choix probable des Émirats arabes unis soulève des critiques, notamment de la part de la directrice générale par intérim du Réseau action climat Canada, Caroline Brouillette.

« S’il préside la COP28, le sultan al-Jaber doit impérativement démissionner comme p.-d.g. de l’Abu Dhabi National Oil Company, sans quoi il serait en grossier conflit d’intérêts. Qu’un dirigeant du secteur fossile préside une conférence visant à résoudre la crise climatique serait absolument loufoque, particulièrement après une année où les impacts dévastateurs des tactiques de report et de dilution de son industrie ont été plus saillants que jamais », fait-elle valoir au Devoir.

Mme Brouillette rappelle que la plus récente conférence climatique de l’ONU (COP27) a été en bonne partie un échec en raison de la forte présence de représentants de l’industrie des énergies fossiles. « Après une COP27 qui ressemblait à une conférence mondiale sur le gaz, avec la présence d’un nombre record de lobbyistes fossiles et où la grosse pièce manquante de la discussion était la transition hors des énergies fossiles, nous ne pouvons nous permettre que la COP28 soit complètement monopolisée par l’industrie pétrolière et gazière. »

Ce n’est pas la première fois que le pays hôte de la COP sur le climat est critiqué. La Pologne, pays fortement dépendant du charbon, a déjà organisé trois COP, en 2008, en 2013 et en 2018. Le Qatar, où le secteur des énergies fossiles est au coeur de l’économie, avait aussi accueilli la COP18, en 2012.

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