Des épiciers mettent les bouchées doubles contre le vol à l’étalage

La hausse du vol à l’étalage dans des épiceries en raison de l’inflation, mais aussi des caisses en libre-service, incite des commerçants à prendre les grands moyens pour tenter de les prévenir.

« Il y a un retour des vols de nécessité », rapporte au Devoir une personne qui dirige la franchise d’une grande chaîne de supermarchés, et qui a pignon sur rue à Montréal. Elle n’a pas voulu être nommée, car elle n’est pas autorisée à parler aux médias. Alors que certains volent pour faire de la revente et consommer de la drogue, ou sont liés à des réseaux organisés, cette personne constate qu’il y a une augmentation de personnes âgées ou isolées qui volent de quoi se faire à manger et elle estime que l’inflation pourrait être l’une des causes.

Chez Loblaw, qui exploite la marque Provigo, on confirme que le vol à l’étalage est à la hausse. Différents moyens sont mis en place pour le contrer, mais la porte-parole n’était pas en mesure de préciser lesquels. Du côté des supermarchés PA à Montréal et à Laval, où une augmentation a aussi été constatée, les mesures ont été resserrées il y a quelques mois. « On vient de lancer une nouvelle campagne auprès de nos clients et de nos employés, explique la directrice des opérations, Patricia Chouinard. On se demandait ce qu’on pouvait faire de plus. »

« Souvent, les gens vont utiliser leur propre sac plutôt qu’un panier, mais nous avons banni ça. Il faut absolument utiliser un panier, précise-t-elle. Les clients doivent aussi laisser leurs petits paniers sur roues à l’entrée. » Les vols tournent principalement autour de la viande, du fromage et de l’alcool. Des clients cachent notamment de la nourriture sous leurs sacs dans leur panier d’épicerie, ce qui a entraîné la mise en place de mesures et vérifications supplémentaires.

D’autres épiciers avec qui Le Devoir a discuté ont embauché des gardiens de sécurité pour surveiller les allées et venues des clients, ou demandent les factures à la sortie.

Photos dans les vitrines

Certains vont jusqu’à se faire justice eux-mêmes en affichant les photos de présumés voleurs sur leur vitrine à l’entrée du magasin, extraites à partir de caméras de surveillance. Comme au Marché Tradition, sur le boulevard Rosemont, où les photos de deux hommes et d’une femme sont bien visibles. « Il y a des vols tous les jours », glisse une caissière au Devoir. Les clients ont accès à quatre caisses en libre-service, et certains en profitent aussi pour dérober des produits. La direction n’était pas disponible pour nous accorder une entrevue.

L’effet de dissuasion fonctionne, assure le copropriétaire d’un supermarché à proximité d’une autoroute à plus d’une heure de route de Mont­réal. À l’entrée, un grand mur de photos de personnes qui ont « oublié » de payer accueille les clients.

« Des personnes ne trouvaient pas ça correct qu’on fasse ça, alors on les a enlevées pour voir. Le nombre de vols a explosé en deux semaines », souligne celui qui ne veut pas être nommé, car certains lui ont adressé des menaces. « Il arrive aussi que des clients les reconnaissent et nous disent leur nom, et on transmet l’information à la police. » Il précise qu’il n’y a pas de type de voleur en particulier et qu’autant des personnes défavorisées que celles avec de l’argent commettent des délits. « Malheureusement, même quand on les attrape, ils reviennent voler dans le magasin », ajoute-t-il.

Il estime les pertes liées aux vols entre 40 000 $ et 60 000 $, « ce qui est vraiment dommageable pour un magasin », et déplore que les autorités de la région « ne fassent rien ». Des épiciers avec qui Le Devoir a discuté sentent que les voleurs ont un sentiment d’impunité et paient rarement pour leur crime.

Mais l’affichage des photos, est-ce une pratique légale, et porte-t-elle atteinte à la réputation et à la vie privée de ces personnes ? Ce n’est ni blanc ni noir, analyse Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Mont­réal. « Le principe de base, c’est qu’on ne peut pas diffuser la photo de quelqu’un sans son accord, sauf s’il y a un intérêt légitime à le faire, explique celui qui est aussi chroniqueur au Devoir. Toute la question s’analyse autour de ça. Est-ce que le commerçant a un intérêt légitime à capter et à diffuser ces images ? »

Il y a un « très gros risque » de diffamation si celui-ci se trompe et que la personne n’a pas commis de vol. « Par contre, si c’est quelqu’un dont l’image est captée alors qu’il commet un acte qui semble illicite, ça augmente les probabilités que ce soit un motif légitime », poursuit-il.

Plusieurs causes

La hausse des vols à l’étalage peut être liée à l’inflation, mais l’apparition des caisses en libre-service est également en cause, souligne Michel Rochette, président de la section québécoise du Conseil canadien du commerce de détail.

« Ce n’est pas un phénomène nouveau, et il y a plusieurs facteurs, indique-t-il. On le remarque un peu plus maintenant à cause de l’inflation ». Le vol à l’étalage a augmenté dans les commerces en général et cela a débuté avant la hausse des prix, note-t-il.

« L’avancée technologique avec le libre-service fait en sorte qu’il y a de plus en plus de gens qui contournent parce que personne ne surveille spécifiquement ce qui est mis dans le panier », dit-il. Le vol à l’étalage peut parfois être plus structuré, avec des sites de revente en ligne faciles d’accès.

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