Un niveau de littératie disparate selon les régions

Jean-Benoît Nadeau
Collaboration spéciale
Afin d’aplanir les disparités régionales en matière de littératie, Pierre Langlois propose quatre solutions originales.
Photo: Michaël Monnier Archives Le Devoir Afin d’aplanir les disparités régionales en matière de littératie, Pierre Langlois propose quatre solutions originales.

Ce texte fait partie du cahier spécial Alphabétisation

La Fondation pour l’alphabétisation a publié cette année une nouvelle étude sur l’incidence de la structure scolaire et collégiale sur la littératie des régions, accompagnée de pistes d’action et de réflexion pour le Québec afin de combler notamment les écarts avec Montréal.

Depuis qu’il étudie la problématique de la littératie au Québec, l’économiste Pierre Langlois va de découverte en découverte. Pour sa première étude de la série AlphaRéussite, de la Fondation pour l’alphabétisation, en 2018, il avait calculé que les 53 % de Québécois qui n’atteignent pas le niveau 3 en lecture plombent le PIB du Québec de 4,9 milliards de dollars.

Pour ses deux dernières études, la sixième et la septième de la série, l’auteur est parvenu à démontrer le retard croissant que prennent les régions québécoises par rapport à Montréal. L’absence de cégeps dans 39 municipalités régionales de comté (MRC) a des effets négatifs sur la situation de 1,2 million de Québécois.

« C’est inquiétant parce que les dernières données du recensement 2021 montrent que le taux de personnes sans diplôme du Nouveau-Brunswick (11 %) est pour la première fois inférieur à celui du Québec (11,8 %). C’est une nouveauté et un point d’inflexion », dit l’économiste. Or, explique-t-il, le décrochage scolaire est le frère jumeau des problèmes de littératie.

Absence de cégeps

Ces dernières études vont au-delà des pourcentages généraux pour les décortiquer MRC par MRC, région par région, en faisant des croisements avec les niveaux de scolarité. « Il se trouve que, selon le lieu, les gens ne sont pas face à la même offre scolaire, constate-t-il. Un garçon de 16 ans à Lachute n’a pas un accès aussi facile au collège ou à l’université, mais il va trouver un excellent centre de formation professionnelle. Et c’est comme ça dans 39 MRC où il n’y a ni cégep ni centre d’études collégiales [CEC] à moins de 20 kilomètres. »

Or, en matière de littératie, l’absence de cégeps est critique pour une raison toute simple : au Québec, le parcours scolaire primaire et secondaire est de 11 ans au lieu de 12 ailleurs. « En l’absence d’une 12e année, le grand gain de littératie, celui du niveau 3, vient avec la fréquentation collégiale, explique l’économiste. 85 % des personnes sans diplôme secondaire n’atteignent pas le niveau 3. Ça tombe de moitié avec un diplôme collégial. »

Afin d’aplanir les disparités régionales en matière de littératie, Pierre Langlois propose quatre solutions originales. Pour commencer, les écoles de formation professionnelle devraient offrir une mise à niveau en littératie et en numératie obligatoire, comme cela se fait couramment en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Les cégeps devraient également étendre leurs CEC à toutes les MRC. Les centres de services scolaires devraient aussi pouvoir proposer des cheminements personnalisés, y compris la possibilité de faire une sixième secondaire pour ceux qui en ont besoin. Le gouvernement québécois devrait également rendre la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, comme en Ontario et au Nouveau-Brunswick.

Le portrait n’est pas entièrement sombre. L’auteur recense huit MRC qui ont gagné plus de 1,5 % sur le taux de littératie entre 2016 et 2021. Selon le cas, elles ont fortement misé sur leur CEC, modifié leur tissu économique vers le manufacturier avancé ou le tertiaire, ou simplement le rajeunissement de leur population. « Grâce à son approche concertée, le Saguenay–Lac-Saint-Jean par exemple fait mieux que d’autres régions-ressources comme l’Abitibi, la Côte-Nord et la Gaspésie. »

Le mur du 2e cycle

Pour les centres urbains, la problématique se pose différemment, précise-t-il, car les établissements postsecondaires sont tous très proches. « Oui, Montréal a de meilleurs taux de littératie et de scolarité, mais il y a quand même des zones où ça va moins bien que d’autres. »

Pour étudier le problème, la Fondation pour l’alphabétisation a compilé un « indice de grande vulnérabilité », qui associe les résultats en littératie et la mesure du panier de consommation. « Les problèmes de centres urbains sont liés à de très fortes disparités de revenus, à l’exclusion sociale et à la précarité économique. Ça crée des spirales de pauvreté : faible littératie, faible employabilité, faible revenu, et ainsi de suite. Quand les gens sont pris là-dedans, il leur faut une aide extérieure. » C’est-à-dire : du soutien social, des programmes de formation et de supplément du revenu qui sont là pendant l’année ou les deux ans de requalification. « Cette problématique­-­là existe aussi dans les zones rurales, mais elle est plus diffuse. L’éloignement physique du cégep ou du CEC joue davantage. »

À ses yeux, le Québec doit faire un effort pour essayer de comprendre ce qu’il appelle le « mur » du 2e cycle au secondaire. La situation est paradoxale, parce que les élèves québécois affichent d’excellents résultats au Programme international pour le suivi des acquis (PISA), qui s’adresse aux jeunes de 15 ans dans 34 pays de l’OCDE. « C’est juste après que ça dérape. Est-ce que nos seuils de réussite sont trop élevés, à 60 % au lieu de 50 % pour l’Ontario ? Est-ce qu’on pousse trop de matière ? Il se passe quelque chose. On accumule les retards, et ça périclite. »

Le don de lire

La nouvelle Chaire de recherche sur les apprentissages fondamentaux en littératie à l’UQAM a vu le jour en 2022 grâce à un don d’un million de dollars sur cinq ans de Druide informatique, créatrice du logiciel d’aide à la rédaction Antidote.

« La lecture est partout : on ne peut pas comprendre un problème de mathématique si on ne sait pas lire. Notre chaire s’intéresse à toutes les pratiques pédagogiques et orthopédagogiques qui soutiennent le développement des compétences tout au long de l’apprentissage », explique Line Laplante, titulaire de la chaire et professeure au Département de didactique des langues de l’UQAM. « On n’apprend pas à lire d’un coup. Cela se développe sur des années. Il n’y a pas grand-chose de plus complexe que d’apprendre à lire, et c’est le facteur de succès le plus important. »

Reconnue internationalement en matière d’intervention et d’évaluation en lecture-écriture, la chercheuse explique que les travaux de la chaire vont s’appuyer sur les connaissances incontournables, ce qu’elle appelle les piliers de l’apprentissage. Tout part en fait de la reconnaissance des sons et de leur association avec des lettres, qui permettent d’identifier le mot. Puis, cette connaissance progresse vers le sens des mots, et les combinaisons de mots et de phrases. « C’est une habileté fondamentale. Si on est bon là-dedans, l’impact sur la progression scolaire est direct. Il y a d’autres piliers, comme l’acquisition du vocabulaire et la capacité d’inférence, c’est-à-dire de comprendre entre les lignes, de déduire le sous-entendu. La finalité est d’arriver à comprendre. Donc, la pratique pédagogique doit soutenir cet apprentissage. »

Toute la recherche de la chaire portera sur les pratiques pédagogiques et orthopédagogiques qui ont un impact sur ces habiletés. Qu’est-ce que qui marche, sur quels élèves, dans quel contexte ? « L’autre chose qu’on veut faire, c’est d’assurer le transfert de connaissances vers les milieux de pratique, avec l’idée de vulgariser les recherches pour les rendre digestes. »

De façon plus particulière, la chaire examinera l’efficacité des outils numériques pour toutes les phases de l’apprentissage, que ce soit ChatGPT, Antidote ou d’autres outils, comme la synthèse vocale. « De nombreux outils ont d’abord servi à des gens ayant des difficultés avant de se généraliser. La synthèse vocale est un exemple. Maintenant, on l’utilise pour se faire lire un roman. De même pour le téléphone cellulaire, qui provoque de la distraction, mais qui peut avoir des usages bénéfiques selon le contexte. Ça reste à clarifier, scientifiquement. »

Bien qu’elle reçoive 200 000 dollars par an d’une société conceptrice de logiciels, Line Laplante explique être totalement autonome quant aux travaux et à la diffusion des résultats. « Un représentant de l’entreprise siège à notre comité de direction, qui voit au budget, mais notre comité scientifique ne compte que des chercheurs. Donc, même si une recherche sur leur technologie arrivait à des conclusions mitigées, elle serait diffusée. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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