L’harmonie déraille entre la CAQ et Québec

L’administration Marchand avait inclus dans le projet une voie partagée entre le tramway et les voitures.
Renaud Philippe Le Devoir L’administration Marchand avait inclus dans le projet une voie partagée entre le tramway et les voitures.

L’harmonie a volé en éclats, mercredi, entre la Ville de Québec et le gouvernement. La CAQ impose une énième condition à la réalisation du tramway et pour le maire Bruno Marchand, il s’agit d’une « politique à courte vue » menée au détriment de la capitale et des enjeux climatiques.

Le ministre Éric Caire a dû présenter des excuses au maire de Québec, Bruno Marchand, mercredi après-midi après avoir déclaré qu’il « polluait la vie des automobilistes » avec son projet de voie partagée sur le boulevard René-Lévesque.

« Ce matin, je suis allé trop loin », a écrit M. Caire sur son compte Twitter mercredi midi. « Même si j’ai un désaccord avec le maire Bruno Marchand quant au tramway, il est une personne de bonne foi et son intention n’est pas de polluer l’existence des automobilistes. »

Le gouvernement Legault fait pression sur la Ville de Québec pour qu’elle retire une voie partagée du projet de tramway et lui reproche de ne pas assez tenir compte des besoins des automobilistes et des banlieues.

« Le maire de Québec dit qu’il ne veut pas faire la guerre à l’automobile. Qu’il le prouve. Et qu’il arrête de polluer l’existence des automobilistes avec des projets comme ça », avait déclaré le député caquiste Éric Caire en mêlée de presse mercredi matin.

Le gouvernement caquiste s’oppose à ce qu’une partie du boulevard René-Lévesque soit transformée en voie partagée entre voitures et tramway dans le cadre du projet. Le concept de rue partagée vise à limiter la présence d’automobiles dans la circulation locale à faible vitesse et à donner une plus grande place aux vélos et aux piétons.

Or, selon une étude de la Ville rendue publique la semaine dernière, la présence d’une rue partagée pourrait notamment faire doubler la durée des déplacements entre le parlement et l’Université Laval en après-midi sur Grande Allée et le boulevard Laurier.

À l’origine, le tramway devait s’engouffrer dans un tunnel sous le tronçon aujourd’hui projeté en rue partagée. La Ville avait cependant dû rapetisser ses ambitions et ramener le tramway en surface entre les rues des Érables et Turnbull afin de respecter le carcan budgétaire imposé par la CAQ.

L’administration Marchand a par la suite privilégié le scénario de rue partagée pour répondre aux inquiétudes des citoyens — et du gouvernement — concernant le nombre d’arbres abattus dans le secteur. La voie partagée permet de limiter l’abattage à 27 arbres tandis qu’un boulevard René-Lévesque qui demeure à quatre voies imposerait d’en sacrifier 74.

Marchand dénonce de l’ingérence

La « lune de miel » avec le gouvernement Legault goûtait soudainement le vinaigre, mercredi, dans la riposte du maire Bruno Marchand. Visiblement excédé, l’élu a dénoncé « une attaque directe et en règle » contre la Ville de Québec.

« C’est une décision unilatérale, prise sans nous en parler, a décrié le maire, entouré par l’ensemble de son parti. C’est une mauvaise journée pour les villes du Québec, pour la Ville de Québec, pour les citoyens de Québec. »

La Ville reproche notamment au gouvernement de « s’ingérer » dans des décisions qui relèvent des compétences municipales. Le maire a souligné la contradiction entre un gouvernement caquiste allergique aux empiètements fédéraux, mais qui ne se gêne pas, selon lui, à s’inviter dans les platebandes des villes.

« S’il y a des élus, là-dedans, qui veulent être maires de Québec, ils peuvent se proposer en 2025, a répliqué le maire. Là, ils sont élus à l’Assemblée nationale. Qu’ils nous laissent gérer. »

Selon le locataire de l’hôtel de ville, le rendez-vous électoral importe davantage à la CAQ que les intérêts de Québec, au moment où le Parti conservateur d’Éric Duhaime gagne des appuis dans la région de la Capitale-Nationale.

« Je pense que la CAQ fait le bon vieux calcul de : “Mes circonscriptions sont pro-autos, donc si je démonise le transport en commun, c’est bon pour nous.” C’est de la politique à courte vue », a tranché M. Marchand.

Le chef du Parti conservateur du Québec (PCQ), Éric Duhaime a déclaré en janvier au Devoir qu’il envisageait de se présenter dans Vanier, Chauveau ou une circonscription de la Rive-Sud de la région. « Ce sont des bonnes circonscriptions pour nous. […] Je vais aller là où j’ai le plus de chances », avait-il déclaré.

Le député de La Peltrie, Éric Caire, se défend de craindre l’avancée du PCQ dans les sondages. « Je disais ce que je disais là [quand] M. Duhaime n’était pas encore en politique, a indiqué le ministre. Il n’y a rien qui a changé dans le discours de la CAQ. Ce qui change, […] c’est la ville qui modifie continuellement son projet. »

Qu’à cela ne tienne, le maire Marchand refuse catégoriquement d’accéder aux demandes du gouvernement et indique, consultation à l’appui, qu’une majorité de résidents du secteur appuie le scénario de rue partagée privilégié par la Ville. Il écarte tout aussi fermement l’idée de marchander son appui au troisième lien pour obtenir le feu vert du gouvernement.

« Si ce qu’on me demande, c’est de signer un chèque en blanc pour un tunnel dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants, la réponse est non. Je ne vendrai pas mon âme au diable », a déclaré l’élu.

L’opinion des gens de Saint-Apollinaire, de Château-Richer et de Portneuf

Le maire déplore surtout que le Conseil des ministres repousse la signature de décrets nécessaires au lancement d’appels de propositions clés dans la réalisation du projet. L’administration Marchand espérait que les décrets soient adoptés au plus tard mercredi, mais le gouvernement a fait savoir qu’ils ne seraient pas approuvés avant le 6 avril. Pourtant, la CAQ dispose depuis l’ancienne administration de l’étude qui justifie, aujourd’hui, son recul soudain par rapport au tramway, a déploré le maire Marchand.

« Ce n’est pas le maire de Québec qui va dicter [l’ordre du jour] du Conseil des ministres », a déclaré mercredi matin le ministre des Transports François Bonnardel.

Même le premier ministre, François Legault, a commenté le dossier. « C’est sa responsabilité d’avoir une acceptabilité sociale », a déclaré M. Legault en mêlée de presse à propos du maire Marchand.

L’un après l’autre, ses ministres ont laissé entendre, mercredi, que la voie partagée suscitait des critiques particulièrement grandes dans les municipalités qui se trouvent en périphérie de Québec. François Bonnardel et Éric Caire ont tous les deux parlé de Château-Richer, sur la Côte-de-Beaupré, de Saint-Apollinaire, dans Lotbinière, au sud de Lévis, et de la région de Portneuf— des régions situées à 30, 40 et 50 km de la rue partagée envisagée.

Par ces propos, le gouvernement réagissait à la déclaration du maire de Québec qui affirmait, la semaine dernière, ne pas « construire » le tramway « pour les gens de Portneuf, de Château-Richer ou de Saint-Apollinaire. »

Une opinion qu’il n’a pas reniée mercredi. « Je le redis : ce n’est pas vrai qu’on va construire un tramway à la satisfaction des gens de Saint-Apollinaire », a martelé M. Marchand. Il a indiqué qu’au cours d’une rencontre de la Communauté métropolitaine de Québec la semaine dernière, aucun représentant n’a exprimé de doléances concernant le scénario de rue partagée. « Je ne pense pas que ça fasse partie des débats les soirs de conseil. »

Les frictions étaient à peine voilées entre le gouvernement Legault et l’ancien maire Régis Labeaume, qui a tiré le rideau sur sa vie politique en tirant à boulets rouges sur les projets de mobilité de la CAQ pour la région de Québec.

Mercredi, son successeur avait l’impression de rejouer « dans le même vieux film ». « C’est le jour de la marmotte, a conclu le maire. Il est temps que Québec passe à une autre étape ; on a besoin du gouvernement pour le faire. »

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