Décrocher de toi, un petit fil à la fois

«Nous avions besoin de contempler le monde en nous comparant et en dévalorisant pour nous rassurer sur notre propre valeur. C’était ça, pour moi, avoir 20 ans avec toi», écrit l'autrice.
Photo: Cédric Gagnon Le Devoir «Nous avions besoin de contempler le monde en nous comparant et en dévalorisant pour nous rassurer sur notre propre valeur. C’était ça, pour moi, avoir 20 ans avec toi», écrit l'autrice.

Dans ses chroniques, notre collaboratrice Nathalie Plaat en appelle à vos récits. Cet été, elle vous a invités à réfléchir à vos amitiés, en les prenant par leur envers, au moment où elles se retirent, se brisent ou s’étiolent. La rubrique « Des nouvelles de vous » offre un éventail des réponses reçues.

J’ai retenu cette phrase du roman La vie devant soi et je trouve qu’elle résume bien l’amitié que nous avons partagée : « Quand on est môme, pour être quelqu’un, il faut être plusieurs. » C’est à travers ton accueil et ton amitié que je me suis sentie plus complète.

Tu étais toujours là pour me rassurer, moi qui doutais, moi qui me sentais morcelée, moi qui étais en quête de mon identité, la vraie, celle qui se cachait sous un faux soi d’urgence crocheté pour survivre à l’enfance. Dans l’élan ado-infantile qui nous animait, nous pouvions fusionner et cultiver l’art de la médisance, cet art du clivage, qui nous faisait errer dans les sphères du supérieur-inférieur où personne ne gagne jamais. Mais, ça, nous ne le savions pas.

Nous avions besoin de contempler le monde en nous comparant et en dévalorisant pour nous rassurer sur notre propre valeur. C’était ça, pour moi, avoir 20 ans avec toi. Que de jeux de mots, de fous rires, de regards complices et de synchronicité dans nos rencontres danse-musique !

Nous partagions une fuite. Pour que la bâtisse tienne, il nous fallait parfois cacher et mentir, surtout, ne pas confronter. Ne pas nommer l’éléphant dans la pièce.

J’ai décroché de toi, un petit fil à la fois, à force de me sentir trahie et abandonnée. Maintenant, je sais qu’on n’abandonne pas nos égaux, ce n’est pas leur responsabilité de réparer nos blessures. Mais à l’époque, tu brillais plus fort que les autres à mes yeux. Je t’aimais un peu plus que les autres. C’était inimaginable que tu puisses parler contre moi à d’autres personnes. C’était impensable que tu puisses vouloir séduire quelqu’un qui était important à mes yeux.

Puis, j’ai choisi un autre chemin, un chemin qui a changé ma vie. Plus j’explorais en thérapie, plus je devenais maîtresse de mes choix. Nos quelques rencontres au fil des ans m’ont laissée vide et un peu déçue. Je n’arrivais plus à ignorer tous tes efforts pour t’adapter aux autres et je rageais intérieurement de connecter pour vrai avec la personne derrière ces besoins de plaire. Je n’arrivais plus à ne pas voir la façade et les masques. Tu devais le capter, puisque je te sentais stressée à mon contact. La distance s’est installée et je ne t’ai plus relancée. Nous avons changé et je n’y croyais plus. J’ai abandonné.

Je ne regrette rien des beaux moments partagés. C’était magique. Je regrette de n’avoir pas su te dire ces choses-là et d’avoir simplement disparu peu à peu de ta vie. Je ne regrette pas mes choix, mais je regrette l’impact que ça a dû avoir sur toi. Pardon.

D’autres récits, d’autres amitiés contrariées

« Ces temps-ci, j’hésite très intensément à me séparer d’un ami de longue date devenu au fil de nos rencontres, parce que notre relation a subi de nombreux coups, une sorte de fantôme froid et insipide que je visite par attachement absurde. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi il accepte toujours de me voir étant donné son désenchantement manifeste. […] Je voudrais le remercier pour cette énergie du désespoir déployée dans le but de préserver ce qui reste d’une amitié autrefois vive et réciproque — et, par le fait même, de ménager mon coeur fragile —, mais on gagne à abandonner certaines causes quand tout le monde sait qu’elles sont perdues. Ainsi, on accueille le renouveau en ne décevant personne. »
Nicolas Santerre, Montréal
 

« On ne perd pas la tête par amitié, pas plus qu’on ne chamboule sa vie et celle de ses proches pour un nouvel ami. L’amitié s’installe par apprivoisement mutuel. Elle résiste en principe aux malentendus et aux disputes occasionnelles. Je me suis toujours demandé pourquoi on fait un tel fromage de la Saint-Valentin, alors qu’aucune journée de l’année ne célèbre vraiment l’amitié. C’est peut-être justement parce que celle-ci n’a que faire d’une journée commanditée par Visa ou Tim Hortons, alors que l’amour est une proie si facile. On finit toujours par se remettre de nos échecs amoureux, mais on ne se console jamais tout à fait des amis perdus. »
Johanne Tremblay, Saint-Bruno (cet extrait est tiré de son blogue).
 

« Les relations se constituent de deux brins qui se rejoignent. L’idéal de l’individuation consiste en l’autonomie de chacun. Que ce soit dans les relations amoureuses, amicales, fraternelles, parentales et même ancestrales, chacun des brins est libre de cheminer au gré de sa vie. Chacune de mes trois filles m’aime à sa façon, selon sesbesoins. Ça ne se compare pas. L’amitié remplit des besoins et, quand ces besoins s’estompent, l’amitié s’éteint. Ainsi soit-il. L’amitié est intemporelle, n’a pas de comptes à rendre. On peut rester ami sans se fréquenter pendant des décennies. L’obligation est incompatible avec l’élan amoureux. »
Pierre Saine

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