Une élue de Québec ne sera pas remplacée pendant son congé de maternité

Selon la cheffe de Transition Québec, Jackie Smith, les élus devraient pouvoir mandater une personne pour les remplacer pendant leur absence.
Francis Vachon Le Devoir Selon la cheffe de Transition Québec, Jackie Smith, les élus devraient pouvoir mandater une personne pour les remplacer pendant leur absence.

L’arrivée d’un bébé en cours de mandat oblige les élues municipales à jongler avec des rôles difficilement conciliables. Une conseillère de Québec, enceinte de 37 semaines, demande aux autorités de dépoussiérer les lois pour prendre en compte la place de plus en plus importante des jeunes femmes dans l’arène politique.

Le ventre proéminent de Jackie Smith, cheffe et seule élue du parti Transition Québec, ne ment pas : elle attend un deuxième enfant, une petite fille cette fois, d’ici la fin du mois. À 37 semaines de grossesse, ses pas sont plus lents. Sa tête, surtout, est ailleurs.

« C’est inconfortable au point où ça me déconcentre, explique la conseillère municipale de Limoilou. Juste de trouver une position où je suis capable de respirer sans avoir mal au dos, ce n’est vraiment pas évident. »

Elle assistera à un dernier conseil municipal mardi, avant de mettre au monde une nouvelle citoyenne à Québec. La petite naîtra avant l’été ; sa mère retrouvera son siège d’élue avant l’automne. La loi accorde, depuis 2016, 18 semaines de congé de parentalité consécutives aux élus du palier municipal. Avant, un élu qui s’absentait plus de 90 jours perdait son siège — en plus d’encourir des pénalités financières.

La nouvelle loi accorde à la mère à peine une saison, donc, pour accueillir la nouveau-née et s’acclimater à la vie à quatre, avant de rechausser ses souliers de conseillère. Chez les Smith, il n’y a eu aucun hasard dans l’arrivée de la cigogne : c’est le calendrier politique qui a dicté l’avènement du bébé.

La politicienne et son conjoint désiraient ce deuxième enfant dès 2021, mais le couple a décidé de retarder sa naissance de quelques années pour éviter de mener une campagne électorale avec un nouveau-né. L’arrivée de la petite coïncide maintenant avec l’été, une période de pause à l’hôtel de ville.

« Ce n’est pas normal de planifier votre famille autour de ces contraintes, indique Jackie Smith. Je pense que c’est un empêchement majeur pour les femmes qui décident de se lancer en politique. »

La conseillère milite maintenant pour que les autorités dépoussièrent les lois et les règlements et facilitent la conciliation travail-famille des élus municipaux. À Montréal, par exemple, la Ville autorise depuis 2020 l’embauche d’un attaché politique qui vient épauler les élus nouvellement parents dans l’accomplissement de leurs obligations envers la population.

Rien de tel n’existe à Québec.

Selon Jackie Smith, les élus devraient avoir droit à un congé de parentalité d’un an « comme dans toutes les autres professions ». Ils devraient aussi pouvoir mandater une personne pour les remplacer pendant leur absence et, ainsi, éviter que la population perde sa voix au conseil municipal.

La loi québécoise empêche cependant ces accommodements qui faciliteraient la vie des nouveaux parents. Les élus, par exemple, ne peuvent pas non plus exercer leur droit de vote à distance. Cette façon de faire, pourtant devenue la norme pendant la pandémie, a pris fin au terme du décret gouvernemental qui l’autorisait, et il est à nouveau impératif, depuis, de faire acte de présence à la salle du conseil et de participer aux débats.

Un archaïsme

« Ça envoie un mauvais message, soutient la présidente du Réseau femmes et politique municipale de la Capitale-Nationale (RFPM), Manon Therrien. Il faut permettre aux femmes de poursuivre les activités de représentation, sans enfreindre le droit des élues mères de donner naissance. »

Le Guide 2020 d’accueil et de référence que le gouvernement remet aux élues et aux élus municipaux ne compte aucune information à propos de l’arrivée d’un bébé dans la vie d’une conseillère ou d’une mairesse en cours de mandat. Une absence symptomatique d’un certain archaïsme dans les lieux du pouvoir public, selon la présidente du RFPM.

« Nous avons investi pour avoir des enfants, au Québec, et de l’autre bord, nous ne donnons pas les outils à nos politiciennes pour qu’elles aient une famille. Nos institutions sont démocratiques, ajoute Manon Therrien : elles ne devraient pénaliser personne qui a le désir de fonder une famille. »

Les dernières élections municipales, en 2021, ont pourtant vu une cohorte sans précédent de femmes portées au pouvoir. Selon l’Union des municipalités du Québec, il y avait 257 mairesses et 2626 conseillères au lendemain du 7 novembre 2021. Celles-ci représentaient, respectivement, 23,6 % et 38,5 % des postes à pourvoir au sein des conseils municipaux du Québec.

En moins de 45 ans, le Québec a fait un bond de géant sur le chemin de la parité. En 1980, par exemple, les mairesses représentaient seulement 1,5 % et les conseillères, 3,8 % des élus. La conciliation des obligations familiales et politiques, toutefois, n’a pas suivi au même rythme, selon plusieurs.

Une enquête de la Fédération québécoise des municipalités montrait, en 2017, que 36 % des élus de moins de 45 ans, hommes et femmes confondus, éprouvaient « souvent ou toujours » de la difficulté à concilier le travail et la famille. Cette réalité se fait particulièrement ressentir dans les petites localités, où le salaire de maire ou de conseiller ne suffit souvent pas à subvenir à ses besoins. Les élus doivent alors jongler avec leur rôle politique, leur carrière professionnelle et leur vie familiale — un équilibre qui relève de la haute voltige, même dans les grandes villes, selon Jackie Smith.

« Tout ce que nous faisons maintenant, il va falloir continuer à le faire, mais avec un bébé. Ça va être un défi de taille, projette-t-elle. Nous allons passer à travers, mais je ne veux pas non plus que ça crée un précédent et que les gens se disent : “Jackie Smith a tout fait ça avec son bébé, pourquoi avons-nous besoin d’un congé de maternité ?” »

La réponse se trouve peut-être à l’entrée même de l’hôtel de ville de Québec. De chaque côté du couloir qui traverse l’édifice centenaire figurent les portraits des maires qui ont, depuis Elzéar Bédard en 1833, dirigé la capitale. Au milieu de 36 hommes, une seule mairesse apparaît : Andrée Boucher, seule et unique femme à avoir tenu les rênes de Québec. Elle l’a fait pendant 21 mois à peine, une exception qui confirme des règles à l’avantage des hommes depuis bientôt deux siècles.

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