Accuser le thermomètre

Les abris de type Stevenson sont utilisés depuis plus d’un siècle et demi, précise l’auteur.
Universitat Rovira i Virgili Les abris de type Stevenson sont utilisés depuis plus d’un siècle et demi, précise l’auteur.

L’auteur est astronome, communicateur scientifique et professeur titulaire de didactique des sciences à l’UQAM.

Inutile de rappeler à quel point il a fait chaud cet été au Québec et ailleurs dans le monde : selon l’observatoire terrestre Copernicus de l’Union européenne, l’été 2023 aura été le plus chaud depuis que des mesures de températures systématiques ont été entreprises, soit vers le milieu du XIXe siècle. De son côté, la NASA constate que juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré depuis 1880. Quant au mois d’août, on estime qu’il a été plus chaud d’environ 1,5 degré Celsius par rapport à la moyenne de la période 1850-1900, soit au début de l’ère industrielle.

Mais les climatosceptiques ont trouvé une nouvelle cible dans leur lutte contre l’évidence du réchauffement climatique causé par les activités humaines : le bon vieux thermomètre !

En effet, un influenceur européen bien connu, Robin Menotti, et plusieurs internautes qui relaient ses messages ont fait circuler cet été des propos sur Twitter (maintenant X) voulant que les mesures de température affichées depuis quelques mois dans les bulletins météo et annonçant canicule après canicule soient trop élevées de plusieurs degrés. Dans leurs communications, ces personnes affirment essentiellement qu’il ne fait pas si chaud que ça, et que les températures annoncées sont fortement exagérées.

La base de leurs prétentions est le fait que les agences spatiales, comme l’Agence spatiale européenne (ESA) et la NASA, publient régulièrement des cartes satellitaires des températures de surface du globe, dont on sait qu’elles peuvent être plusieurs degrés plus élevés que la température de l’air situé au-dessus. Selon ces climatosceptiques (ou devrait-on dorénavant les appeler les thermosceptiques ?), ce sont ces températures de surface qui sont rapportées dans les bulletins météo, et non pas la température de l’air, tout ça dans le but d’exagérer les prévisions de chaleur.

Cela est bien sûr totalement faux. Il existe des normes strictes édictées par l’Organisation météorologique mondiale, une institution spécialisée des Nations unies, concernant la mesure des températures dans les stations météo à travers le globe. Celles-ci doivent être munies de thermomètres calibrés placés à l’intérieur d’un abri ventilé et peint en blanc (un abri de Stevenson, du nom de son concepteur, l’ingénieur écossais Thomas Stevenson, qui l’a développé en 1864), abri lui-même situé entre 1,25 m et 2 m au-dessus du sol.

Ce sont ces boîtes blanches, munies de persiennes sur leurs quatre faces pour en assurer une bonne ventilation, qui abritent ainsi les thermomètres et empêchent la lumière directe du Soleil ou la chaleur du sol de fausser les mesures. Ce sont les mêmes abris qui sont utilisés depuis plus d’un siècle et demi, ce qui permet d’affirmer que les mesures de températures sont tout à fait comparables à travers les décennies. La hausse des températures que l’on observe depuis quelque temps ne provient donc pas des instruments eux-mêmes, mais du réchauffement du climat, tout simplement.

Les cartes de température utilisées dans les bulletins météo constituent une autre source de méfiance pour Menotti et ses semblables : on accuse les météorologues d’utiliser des couleurs plus criardes pour exagérer les chaleurs annoncées et « faire peur au monde », en quelque sorte.

Mais en réalité, s’il y a davantage d’orange et de rouge sur les cartes, cela reflète simplement le fait que les températures sont plus élevées que ce à quoi nous sommes habitués. D’autre part, il se peut que le réchauffement planétaire force les diverses agences météorologiques à modifier la graduation et la palette de couleur utilisées sur leurs cartes météo pour tenir compte des températures plus élevées que nous risquons de connaître plus fréquemment à l’avenir.

Nous vivons décidément une période plutôt inquiétante dans l’histoire de l’humanité, et il est normal que de plus en plus de personnes ressentent une forme plus ou moins aiguë d’écoanxiété, qui se traduit pour certains par un rejet pur et simple de la réalité. Pourtant, le réchauffement du climat et les perturbations de la météo qui y sont associées sont de moins en moins une « vue de l’esprit » ; elles affectent maintenant de larges pans de notre vie quotidienne. Il nous faudra donc collectivement modifier en profondeur nos habitudes et notre mode de vie si nous voulons léguer à nos enfants et à nos petits-enfants autre chose qu’une planète transformée en étuveuse.

Il est encore temps de le faire, du moins pour mitiger les pires effets des changements climatiques. Malheureusement, ce n’est pas en colportant de fausses « nouvelles » ou en semant le doute par rapport au consensus scientifique, comme le font les climatosceptiques, que nous atteindrons ces objectifs. Il ne reste plus qu’à espérer que l’éducation des citoyens permettra de renverser la tendance pour assurer une transition climatique qui fera un peu moins mal…

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