Bharat, un nouveau nom pour solidifier l’hindouisation de l’Inde

Les militants nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP), ou «parti du peuple indien», souhaitent déjà depuis longtemps changer le nom du pays.
Photo: Manjunath Kiran Agence France-Presse Les militants nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP), ou «parti du peuple indien», souhaitent déjà depuis longtemps changer le nom du pays.

La Macédoine est devenue la République de la Macédoine du Nord en 2019, le Swaziland le Royaume d’Eswatini en 2018, la Haute-Volta le Burkina Faso en 1984, et la liste est longue. Pensons à la Nouvelle-France ou au Bas-Canada. Changer l’appellation d’un pays reflète souvent un choix politique plutôt qu’une simple préférence esthétique.

Serait-ce donc au tour de l’Inde de changer pour Bharat, version hindie de son nom ? Les conjectures vont bon train depuis que la présidente du pays, Draupadi Murmu, a utilisé l’expression « présidente du Bharat » plutôt que « présidente de l’Inde » dans ses communications officielles lors du G20 plus tôt ce mois-ci. Le premier ministre, Narendra Modi, a aussi priorisé le terme à maintes reprises dans ses communications des dernières années.

Bharat, le nom sanscrit pour désigner l’Inde, est déjà l’un des deux noms officiels du pays, utilisé la plupart du temps par les locuteurs de langue hindie. Mais selon des sources médiatiques indiennes, Modi projetterait de déposer une résolution pour opérer un changement de nomenclature officiel lors de la session parlementaire spéciale de cinq jours qui débute le 18 septembre.

Des observateurs ont pris plaisir à calculer le coût d’un tel changement de nomenclature. Selon le calcul d’un avocat en droits de propriété intellectuelle sud-africain, une telle modification pourrait coûter 172 millions de dollars ou plus encore, en fonction des mécanismes utilisés pour changer le nom dans toutes les institutions du pays. Le modèle utilisé calque le coût du changement de nom d’un pays sur celui d’une grande entreprise (qui tourne autour de 6 % de ses revenus).

L’impérialisme de l’hindouisme

Les militants nationalistes hindous du parti de Modi (qui parlent pour la plupart hindi), le Bharatiya Janata Party (BJP) ou « parti du peuple indien », souhaitent déjà depuis longtemps changer le nom du pays. Le terme India est pour eux un symbole du colonialisme britannique, puisque la Grande-Bretagne a régné sur le pays de 1757 à l’indépendance du pays en 1947. Un tel mouvement de nomenclature risque de plaire aux électeurs du BJP, surtout ceux du nord du pays, à l’orée des élections générales indiennes de 2024.

Le BJP a d’ailleurs déjà changé le nom de plusieurs villes afin de s’éloigner de l’héritage britannique (ou de celui de l’empire musulman moghol) : les villes du Maharashtra Aurangabad et Osmanabad sont devenues Chhatrapati Sambhaji Nagar et Dharashiv, et la ville d’Allahabad en Uttar Pradesh est devenue Prayagraj. Il s’agit bien sûr d’un mouvement pour éliminer les influences non hindoues du paysage indien, pour renforcer une identité commune religieusement hindoue et linguistiquement hindie, durement imposée à travers les années sur beaucoup de communautés minoritaires indiennes.

L’ostracisation des musulmans indiens du Gujarat, d’où mes ancêtres sont originaires, a notamment été renforcée depuis l’élection du BJP.

Ce désir d’hindouiser l’Inde est vu par beaucoup comme une autre entreprise impérialiste de Delhi, qui, pour beaucoup de régions de l’Inde, est pire que le colonialisme britannique. Je me souviens que, dans plusieurs régions, on préfère parler aux touristes en anglais qu’en hindi, cette dernière étant une langue imposée par Delhi à différentes minorités linguistiques (ou religieuses) du pays, que ce soit les locuteurs gujaratis, punjabis ou bengalis, ou encore les musulmans ou les catholiques.

L’adoption d’une langue commune pour le sous-continent indien, une des régions les plus hétérogènes du monde, fut un débat d’envergure lors de l’établissement de la Constitution nationale de 1950. À l’origine, l’hindi devenait la langue officielle du pays, alors que l’anglais continuerait d’être utilisé pour une période de quinze ans. Mais, en 1965, plusieurs États non hindis firent valoir l’importance de conserver l’anglais comme langue institutionnelle.

Après de nombreux soulèvements, le premier ministre indien Jawaharlal Nehru proposa finalement l’adoption du Languages Act en 1963 pour permettre l’usage de l’anglais sous certaines conditions, loi qui fut renforcée par sa fille, Indira Gandhi, première ministre du pays de 1966 à 1977 puis de 1980 à 1984. Ainsi, l’adoption d’un nouveau nom national qui viendrait renforcer l’hindi comme langue officielle n’aura rien pour plaire aux vingt-huit États et huit territoires indiens.

Au-delà du coût d’un tel changement, cela peut prendre des décennies pour qu’il soit effectif. Il aura fallu longtemps pour que Ceylan soit reconnu comme Sri Lanka après 1972 ou Siam comme Thaïlande après 1948. Et beaucoup d’entre nous utilisent probablement encore Birmanie pour le Myanmar.

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