Un nouveau pouvoir de protection du patrimoine ignoré par les MRC

Depuis l’adoption de la nouvelle loi, les MRC ont l’obligation de dresser l’inventaire des bâtiments construits avant 1940 sur leur territoire.
Olivier Zuida Le Devoir Depuis l’adoption de la nouvelle loi, les MRC ont l’obligation de dresser l’inventaire des bâtiments construits avant 1940 sur leur territoire.

Les municipalités régionales de comté (MRC) lèvent le nez sur un nouveau pouvoir que leur confie la Loi sur le patrimoine culturel. Près de deux ans après avoir obtenu la possibilité de citer des biens patrimoniaux, elles ne l’ont pas fait une seule fois, a constaté Le Devoir.

« Aucune MRC n’a encore exercé ce pouvoir pour l’instant », a simplement écrit le ministère de la Culture lorsqu’interrogé sur ce sujet.

Modifiée en avril 2021 par l’ex-ministre de la Culture Nathalie Roy, la Loi sur le patrimoine culturel accorde aux MRC les outils législatifs pour citer un bien ou un site patrimonial — et donc, en théorie, en assurer la sauvegarde et la mise en valeur. Leur réticence à les utiliser était prévisible, avance toutefois l’agent en avis et prises de position chez Action patrimoine Félix Rousseau.

« Les MRC, on se doutait qu’elles ne voudraient pas nécessairement s’ingérer dans les affaires des municipalités », soutient-il à l’autre bout du fil.

Comme les MRC, les municipalités locales ont le pouvoir de citer des immeubles ou des sites patrimoniaux, et ce, depuis 1985. Depuis les dernières modifications à la Loi, 46 d’entre elles l’ont fait. Mais la loi québécoise laisse encore des biens de valeur passer entre les mailles du filet, souligne M. Rousseau.

« Il y a certaines MRC qu’on sent vraiment motivées et qui vont éventuellement utiliser ce pouvoir-là. Dans certaines autres, c’est plus incertain », analyse-t-il.

Alerte démolition

En Beauce, le couvent de Saint-Gédéon est menacé de démolition. Propriétaire, la municipalité n’entend pas le citer, en raison des coûts d’entretien trop importants associés au bâtiment. « Ça ne me donne rien, les subventions. C’est un cadeau pourri ! Si tu prends une subvention, il faut que tu en mettes une partie », confiait récemment le maire de cette ville au Devoir. Mais pour le moment, il n’y a aucun signe de vie de la MRC non plus.

« L’idée que les MRC puissent citer [des biens patrimoniaux], j’ai hâte de voir les résultats réels de ça », dit le président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), Jacques Demers, en entrevue. « La décision de citer [ces biens] va probablement venir davantage des municipalités que des MRC. »

Et encore. Les coûts associés au maintien ou à la réfection d’un bâtiment patrimonial « explosent », affirme M. Demers. Citer un bien vient donc avec des coûts, signale-t-il. « Les MRC ne taxent personne. Vous savez d’où vient l’argent des MRC : des municipalités. Il n’y a pas de détour à ça », lance-t-il.

Le président de la FQM rejette une part du blâme sur le ministère de la Culture, qui « devait fournir un guide » pour la préparation d’un inventaire du patrimoine immobilier aux MRC. « Ce guide-là a finalement été prêt en septembre 2022. On nous demandait de faire les choses selon un guide, mais le guide n’existait pas », soulève-t-il.

Depuis l’adoption de la nouvelle loi, les MRC ont en effet l’obligation de dresser l’inventaire des bâtiments construits avant 1940 sur leur territoire. Cet outil, qu’elles doivent rendre d’ici 2026, est censé favoriser la citation de bâtiments dits patrimoniaux.

En attendant, difficile de citer quoi que ce soit quand on n’a pas idée de l’état du parc à valeur patrimoniale chez soi, explique le président de la Commission de la culture, des loisirs et de la vie communautaire de l’Union des municipalités du Québec, Benoit Lauzon. « Ce qui préoccupe présentement les MRC, c’est surtout de rentrer dans l’obligation de faire l’inventaire et d’adopter une réglementation en matière de démolition et d’entretien. Après ça, je pense qu’on va voir apparaître des citations ici et là », dit-il.

Des avenues supplémentaires ?

Félix Rousseau « préfère voir le verre à moitié plein ». Il invite les MRC à utiliser les pouvoirs de planification supplémentaires que leur a confiés la nouvelle loi. « La MRC d’Argenteuil vient d’adopter un règlement de contrôle intérimaire, indique-t-il. Tant que toutes les municipalités du territoire n’auront pas adopté un règlement de démolition en bonne et due forme, c’est ce règlement-là qui va s’appliquer, ce qui va permettre d’éviter des démolitions. »

Les MRC n’ont peut-être pas fait appel à leurs pouvoirs de citation, mais la réforme va bon train, assure le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, dans une déclaration écrite transmise au Devoir. « Il est exagéré de prétendre que la nouvelle mouture de la Loi sur le patrimoine culturel n’a pas eu d’effet. […] Il faut donner le temps aux municipalités de se donner les outils que prévoit la Loi. C’est un processus qui peut être long », affirme-t-il.

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