​Patrimoine architectural: Sept-Îles abandonne son hôtel de ville

Dans une communication adressée au «Devoir», le maire de Sept-Îles réaffirme sa volonté d’abandonner l’hôtel de ville, tout en niant son intérêt patrimonial.
Photo: Mario Dufour Dans une communication adressée au «Devoir», le maire de Sept-Îles réaffirme sa volonté d’abandonner l’hôtel de ville, tout en niant son intérêt patrimonial.

La Ville de Sept-Îles va de l’avant, à compter d’aujourd’hui, pour la construction d’un nouvel hôtel de ville. Elle abandonne de ce fait son ancien bâtiment à la destruction. L’espace doit servir à agrandir le stationnement de l’hôpital local, pôle principal du CISSS de la Côte-Nord. C’est le maire, Réjean Porlier, qui l’a annoncé avant même la séance publique virtuelle du conseil municipal qui doit se tenir lundi soir.

« Nous amorcerons [lundi] les démarches pour la construction d’un nouvel hôtel de ville, dans un endroit où il sera mis en valeur, pour répondre à nos besoins d’aujourd’hui, ceux de la population, tout en répondant à ce besoin criant d’espace du CISSS. »

Dans une communication adressée au Devoir, le maire réaffirme sa volonté d’abandonner l’ancien édifice public, tout en niant son intérêt patrimonial. Les citoyens pourront contester cette décision en se soumettant à un processus référendaire, avance le maire.

Le maire Porlier ne croit pas en la valeur architecturale du lieu occupé par les officiers de sa municipalité, malgré plusieurs expertises contraires.

 

« Il est clair que le maire et le conseil municipal ambitionnent de construire un nouvel hôtel de ville qui répondra aux besoins et qui aura l’avantage d’être mis en valeur dans un endroit beaucoup plus propice, indique M. Porlier. Au cours de mes sept années à la mairie, je n’ai pas souvenance d’avoir rencontré un seul visiteur s’intéresser à l’hôtel de ville. Peut-être étaient-ils comme moi incompétents en la matière et ne savaient-ils pas reconnaître le bijou. »

L’immeuble avait peut-être de l’intérêt autrefois, reconnaît-il. « Jadis, sans doute, bien avant l’ajout de toutes ces annexes, d’anciennes prisons devenues salles d’archives ou encore l’ancienne caserne de pompiers transformée en locaux pour les ressources humaines et complètement inadaptés. Mais surtout, bien avant qu’elle ne soit dépouillée, au fil du temps, de ses éléments d’intérêt, des années avant que le présent conseil n’arrive au pouvoir. »

Nouveaux besoins

 

Une expertise réalisée par la firme Patri-Arch commandée par la municipalité au coût de 16 000 $ conclut que le bâtiment est « l’un des plus importants immeubles patrimoniaux de Sept-Îles », même dans son état actuel. Déposé au printemps 2020 devant les autorités de la Ville, ce rapport n’a été rendu public que le 16 décembre dernier.

Dans une lettre aux lecteurs publiée par Le Devoir le 22 janvier, l’architecte Phyllis Lambert, fondatrice du Centre canadien d’architecture, rappelle que l’hôtel de ville de Sept-Îles a été construit par l’agence ARCOP, une firme d’architectes majeure dans l’histoire canadienne.

Ce bâtiment public, inauguré en 1960, « est une marque importante de notre héritage architectural », écrit-elle. « Les œuvres d’ARCOP ont très tôt [symbolisé] l’architecture de haute qualité. » Le premier grand projet réalisé par cette firme a été le Queen Elizabeth Playhouse de Vancouver, édifice pour lequel ils ont reçu la médaille Massey en 1959.

La firme ARCOP est aussi liée à la construction de la Place Ville Marie, de la Place des Arts et de la Place Bonaventure à Montréal, de même qu’au Centre des arts de la Confédération à Charlottetown et au Centre national des arts à Ottawa. « Dans cette orientation des œuvres publiques, l’hôtel de ville de Sept-Îles joue un rôle crucial dans l’histoire de l’architecture publique d’après-guerre au Canada », précise l’architecte émérite Phyllis Lambert.

Malgré les dégradations

 

« Détruire l’hôtel de ville de Sept-Îles pour y faire un stationnement est un outrage social et urbain », poursuit Phyllis Lambert. « Social puisque l’hôtel de ville de Sept-Îles est un symbole et sert la démocratie. Il est la maison des citoyens. Du point de vue de l’urbain, on échange un édifice vital [contre] un vide, un trou dans la fabrique urbaine, ce qui est catastrophique pour l’aménagement des villes. »

Le maire Réjean Porlier estime que Phyllis Lambert est en « haut de sa tour d’ivoire ». Selon lui, « pour conférer à ce bâtiment désuet une valeur patrimoniale, il faudrait réintroduire la plupart des éléments qui au fil du temps ont été très altérés, voir complètement retirés ».

Phyllis Lambert n’est pas du tout du même avis. Elle écrit : « Je joins ma voix au rapport commandé par la Ville de Sept-Îles et réalisé par la firme Patri-Arch qui conclut que l’hôtel de ville de Sept-Îles, malgré les dégradations qui ont eu cours au fil du temps, est d’une valeur patrimoniale supérieure. Ne devrait-on pas être collectivement fiers qu’un bâtiment soit reconnu pour son excellence architecturale et, par conséquent, conservé ? »

Pour le maire de Sept-Îles, les préoccupations à l’égard de l’avenir de cet édifice concernent d’abord les gens de sa municipalité. À son avis, les observations qui vont en sens contraire ne sont le fait que de « gens de la grande ville ».

Le rôle de l’État ?

La Loi sur le patrimoine québécois prévoit que l’État et ses instances, dont les municipalités, doivent se montrer exemplaires en matière de préservation de ses bâtiments. Le ministère de la Culture et des Communications (MCC) a-t-il l’intention de protéger l’hôtel de ville de Sept-Îles, contre la volonté du maire de la municipalité ?

En réponse au Devoir, le MCC indique être « en communication avec la Ville de Sept-Îles au sujet de l’hôtel de ville depuis plusieurs mois ». Laconique, le ministère indique que « ce sont d’ailleurs ces échanges qui ont mené à une évaluation patrimoniale ».

À la mi-janvier, le MCC indiquait au Devoir qu’il venait de recevoir copie de l’étude officielle déposée par la firme Patri-Arch à Sept-Îles au printemps 2020. Le ministère indique qu’il en prendra « connaissance prochainement ».

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