L’Orchestre de Kitchener-Waterloo réclame 2 millions

L’Orchestre de KitchenerWaterloo sur scène avec son directeur artistique
Andrei Feher KWS L’Orchestre de KitchenerWaterloo sur scène avec son directeur artistique

Dans un second puissant signal d’alarme en 48 heures, l’Orchestre symphonique de Kitchener-Waterloo (KWS) a diffusé mardi en fin d’après-midi un communiqué faisant état d’une « potentielle cessation des activités » et annonçant que la somme à récolter pour relancer l’orchestre est de 2 millions de dollars. Le Devoir a pu s’entretenir avec Andrei Feher, un directeur musical sous le choc des événements des derniers jours, qu’il nous permet de décoder un peu mieux.

« Depuis dimanche, rien n’a vraiment bougé ou ça bouge à peine, et si ça ne bouge pas, c’est assez clair que c’est la fin de l’orchestre, du moins sous cette forme », nous dit le directeur musical de l’Orchestre depuis 2018.

« Je vais être le dernier à perdre espoir, car j’ai encore de la difficulté à croire qu’une telle chose puisse partir aussi facilement. » Et pourtant, on en est apparemment là. Dans le communiqué de mardi, on ne parle plus d’une « saison annulée » comme dimanche, mais d’un dépôt de bilan parmi les « solutions possibles explorées ».

Déficit endémique

 

« Ce n’est pas une question de semaines, c’est une question de jours », nous dit Heather Galt, qui fut présidente du conseil d’administration pendant cinq années.

La présente situation est la résultante de la conjonction de plusieurs phénomènes. Avant même la pandémie, le KWS traînait un déficit accumulé. « Nous parvenions à le combler petit à petit quand est arrivée la pandémie », explique Heather Galt. Pendant la crise, le KWS a tenu à continuer à payer ses musiciens et son équipe administrative. De l’extérieur, on peut s’étonner que cette mansuétude n’ait pas fait l’objet, comme ailleurs, d’une réduction négociée et consentie des salaires de 10 % ou 15 %, comme cela s’est vu ailleurs. « Vu le niveau des salaires en question, il aurait été indécent de demander cela », nous dit Mme Galt. En conséquence, contrairement à d’autres institutions, le KWS n’a pas profité de la pandémie pour améliorer son bilan.

Par ailleurs, l’après-pandémie a frappé fort. « Nous avons ouvert assez tard par rapport à d’autres villes. Avons-nous bien fait ? » se demande Andrei Feher. Mais les précautions n’ont pas servi, car comme partout ailleurs, le public a été lent à revenir. « On avait 8000 abonnés avant la pandémie. On en a 2000 maintenant. C’est un énorme coup dans le budget, car les gens achètent à la pièce le jour même et toute la prévisibilité est fragilisée », résume le chef.

Plus que cela. Sur un budget de 5 millions de dollars, le KWS a un équilibre sain de trois tiers (un tiers de subventions publiques, un tiers de commandites et dons, un tiers de revenus de billetterie), mais ces derniers ont plongé. « Nous étions la saison dernière à 30 % de moins que nos prévisions. »

Effet levier

 

Les recettes diminuent au moment où les coûts de production augmentent, phénomène décrit par le chef Laurent Campellone dans notre article « L’opéra file un mauvais coton », en juillet dernier. « Si l’on a quelqu’un qui voit une occasion de récupérer des millions pour son budget, c’est la catastrophe. Il a le pain et le couteau pour tout fermer. Les accusations sont simples : “Vous avez fait un exercice déficitaire ; vos salles ne sont pas pleines ; votre art est mort, il est trop cher et il n’intéresse plus personne.” Peu de gens osent, mais ça plane. Le vrai danger aujourd’hui, c’est celui d’avoir en face des décideurs politiques qui prennent ces symptômes ou problèmes pour quelque chose de structurel et décident de jeter le bébé avec l’eau du bain », avait alors dit le chef français.

En pratique, le KWS s’est aussi laissé berner par sa bonne fortune dans des situations équivalentes antérieures. Une grave crise en 2006 avait été résorbée par la collecte de plus de 2 millions de dollars. « Nous avons eu beaucoup de réunions avant la pandémie sur la situation financière, mais il y a toujours eu des solutions, des dons, des gens qui nous ont aidés pour passer le cap. Je crois que cette fois-ci, on s’est dit la même chose », explique Andrei Feher.

Et « la même chose », ce fut une demande de 800 000 dollars à Patrimoine canadien au début de l’année 2023. Sans recevoir un « oui » franc et massif, le KWS avait cru comprendre que la somme serait allouée. Il a définitivement compris la semaine dernière, semble-t-il, que malgré une lettre écrite au premier ministre par cinq ou six députés de la région, l’argent n’arriverait pas. C’est ce qui fait dire à Andrei Feher : « Pouvait-on se réveiller plus tôt ? Oui, mais comme on avait supposément de l’aide gouvernementale, on était sur la ligne : “On va tout faire pour continuer.” Cet argent n’arrivant pas, ça a mis le pied sur le frein brutalement. » Car en ce qui concerne les salaires ou la saison, couper par petits bouts n’aurait servi à rien.

« Au moins cette annonce est plus claire que celle de dimanche. C’est le dernier signal d’alarme qu’il nous reste », dit le chef, qui espère qu’à l’heure où les « réseaux sociaux s’enflamment rapidement », les choses pourront se résoudre rapidement. Province, municipalités, gouvernement fédéral, donateurs sont interpellés. « J’ai de la misère à croire que je parle de ça en ce moment et que je doive vendre la raison pour laquelle ce qu’on fait est vital. Ce serait une journée très sombre pour la province et pour la vie culturelle du pays si tout s’arrêtait. Un orchestre aussi important, avec une saison aussi importante par toutes ses activités, toutes ses séries, tous ses publics différents : il n’y a rien d’autre dans la région et, avec la congestion, Toronto est à deux heures de route », conclut-il.

Si le KWS s’en sort une nouvelle fois, comme en 2006, il va aussi et surtout voir avec quelle vision stratégique et marketing. Une institution qui a averti ses clients qu’ils ne seraient pas remboursés, mais recevraient un reçu fiscal, va avoir du chemin à faire pour regagner désormais leur confiance.

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