Rose Barbie, le nouveau noir?

Le monde voit la vie en rose ces temps-ci, gracieuseté d’une offensive marketing d’une rare ampleur à l’occasion de la sortie du film Barbie, de Greta Gerwig. Que ce soit dans les magasins, sur les tapis rouges ou les réseaux sociaux, l’univers rose bonbon de la poupée Mattel est la nouvelle tendance, mais pour combien de temps ?

« Ce n’est pas juste une vague, c’est un véritable tsunami de rose », décrit Ying Gao, professeure à l’École supérieure de mode et à l’École de design de l’UQAM, encore sidérée devant l’ampleur du phénomène.

Robes, montres, maillots de bain, lunettes, maquillage, valises, Xbox : plusieurs marques ont déployé leur collection spéciale dans les tons roses ces dernières semaines. Il faut dire que la compagnie de jouets Mattel et le producteur Warner ont multiplié les collaborations autorisant la vente de produits dérivés pour faire la promotion du film, dévoilé sur grand écran vendredi dernier au Québec.

Même les géants de l’alimentation rapide s’y sont mis. Dans certains pays, Burger King propose un Burger Barbie agrémenté d’une sauce rose, tandis que Starbucks a créé une boisson rose fuchsia garnie d’une montagne de crème fouettée.

En soi, cette stratégie marketing n’a rien d’exceptionnel. Ce qui l’est, par contre, c’est la quantité faramineuse de partenariats qui ont été conclus, soit plus d’une centaine. « En général, on va voir des partenariats avec une ou deux marques. Mais j’ai rarement vu un tel déploiement, surtout pour des produits visant principalement des adultes », reconnaît la professeure à l’UQAM.

Au-delà du coup marketing soigneusement orchestré, ce sont surtout les réseaux sociaux qui ont propulsé cette tendance, selon elle. Dès la sortie des premières images du film mettant en vedettes Margot Robbie et Ryan Gosling, en 2022, TikTok, Instagram et Pinterest se sont couverts de rose. Le mot-clic #barbiecore a ainsi fait son apparition pour désigner cette esthétique bien spécifique associée à l’univers de Barbie.

Le rose, c’est LA couleur de cet été

 

Fidèles à leur avant-gardisme, plusieurs marques de haute couture travaillaient déjà sur des collections rose vif, avant tout le battage médiatique autour du film. « Les couleurs vives, comme le rose, sont de retour depuis quelques saisons déjà, confirme Ying Gao. Avec la pandémie, la multiplication des catastrophes naturelles, humaines, politiques, on a besoin de plus de légèreté dans nos vies. »

Il n’en fallait pas plus pour que les vedettes américaines embrassent la tendance : on a ainsi vu Kim Kardashian dans un legging rose de Balenciaga, la chanteuse Lizzo avec une robe rose fuchsia signée Valentino, Nicole Kidman dans un ensemble rose de Miu Miu, pour ne citer que quelques exemples.

Même au Québec, des personnalités comme Karine Vanasse, Catherine St-Laurent, Magalie Lépine-Blondeau, Marie-Mai, Véronique Cloutier ou encore Julie Snyder ont récemment diffusé des photos d’elles vêtues tout de rose.

Couleur vedette

À Montréal, un simple tour dans la rue commerçante Sainte-Catherine confirme la tendance : le rose est partout. Et surtout chez Aldo. La marque a décroché une collaboration avec Mattel et propose toute une gamme à l’effigie de Barbie, rose et pailletée bien sûr.

Dans la succursale du Centre Eaton, il ne restait plus que quelques modèles encore disponibles lors du passage du Devoir, jeudi dernier. « On a été dévalisés en moins d’une semaine, c’était impressionnant », confie l’assistante-gérante Ashley Vallé. « Le rose, c’est LA couleur de cet été », affirme-t-elle.

En effet, même les marques qui ne sont pas officiellement partenaires du film profitent de cet engouement généralisé pour mettre la couleur en avant dans leur vitrine ou sur leurs mannequins en magasin.

 

« Ça donne l’impression qu’il y en a plus que d’habitude, c’est plus tape à l’oeil. Mais on doit avoir autant de bleu, de vert ou d’orange en magasin », fait remarquer une vendeuse de Simons, confirmant que le mot d’ordre est de faire flasher le rose partout.

À l’entrée du magasin, on trouve d’ailleurs un rayon modeste proposant la garde-robe de Barbie : un large dégradé de rose évidemment, des paillettes, du satin, et même un chandail blanc à l’effigie de la poupée.

Réhabiliter le rose

« Ça me donne une bonne excuse pour mettre du rose bonbon ! » lance en riant Eva, qui arpentait justement le rayon lors du passage du Devoir. La jeune femme de 22 ans raconte avoir toujours aimé la couleur rose, sans jamais oser la porter. Du moins jusqu’à il y a quelques semaines. « Quand tu es grande et blonde, porter du rose, c’est vraiment devenir le cliché de la Barbie. On dirait que je n’assumais pas. Mais là, le rose est vraiment partout, ça me dérange moins », souligne-t-elle, visiblement ravie de pouvoir enfin magasiner selon ses goûts sans avoir peur du qu’en-dira-t-on.

Car, depuis des décennies, la couleur rose, particulièrement le rose vif, est le symbole d’une féminité exacerbée, que l’on tourne en ridicule. « Le rose, c’est la légèreté, l’insouciance, ç’a un côté niais et superficiel », explique la professeure Ying Gao.

Elle rappelle pourtant que le rose était initialement associé aux hommes et à la puissance. Sur les tableaux de la Renaissance, ce sont les rois qui portaient cette couleur. Les femmes étaient vêtues de bleu, la couleur de la Vierge Marie. Ce n’est qu’au milieu du XXe siècle que la tendance s’est inversée et que le rose est devenu un outil de construction de l’identité du genre féminin. La poupée Barbie de Mattel ayant largement contribué au phénomène.

Selon la professeure, le film Barbie et tout l’exercice marketing qui va avec, a comme bon côté de réhabiliter le rose dans la société, lui arrachant de vieux stéréotypes qui lui collaient à la peau.

« Est-ce que le rose est là pour durer ? Absolument pas. Pour beaucoup, on a déjà atteint une saturation de rose. D’après moi, cet automne, les invendus seront en rabais, et ce sera terminé pour la saison prochaine », laisse-t-elle tomber, ne cachant pas sa hâte de voir la vie dans une autre couleur.

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