Nos terres agricoles sont-elles réellement notre garde-manger?

Le manque de diversité de notre agriculture est frappant, observe l’auteur.
Sylvie Bouchard Getty Images Le manque de diversité de notre agriculture est frappant, observe l’auteur.

On a beaucoup parlé d’autosuffisance alimentaire au cours des dernières années. Les restrictions imposées par la pandémie, phénomène nouveau pour la plupart d’entre nous, ont fait naître toutes sortes de craintes et de spéculations sur notre approvisionnement alimentaire.

Allons-nous manquer de nourriture si nos frontières sont fermées ? C’était une hypothèse très vraisemblable. Notre agriculture locale peut-elle nous nourrir ? Des termes comme « circuits courts », « agriculture de proximité », « autosuffisance alimentaire » et « terroirs » sont devenus familiers à nos oreilles.

Alors que s’amorce une vaste opération d’études et de consultations visant à mettre à jour le concept et la loi sur la protection de notre territoire agricole, la question relative à l’état de notre garde-manger s’impose. La normalité qui s’est vite installée après la levée des restrictions a un peu relégué cette question au second plan. Nous devons y revenir.

Ce que nous savons, c’est que notre territoire agricole est petit. En hectares cultivables par habitant (0,28), il est plus petit que tous ceux d’États comparables nord-américains. De façon globale, il est même 15 fois plus petit que le territoire agricole en exploitation en France, et tellement moins diversifié.

Des données relativement fiables nous apprennent que plus de 40 % de ce petit territoire désigné comme protégé n’est pas exploité. Il est laissé en friche, pendant qu’on lui cherche d’une nouvelle vocation après le départ de la production laitière vers les régions centrales.

Or, si on regarde les régions plus centrales, vers les riches terres de la vallée du Saint-Laurent, on constate que 70 % d’entre elles sont consacrées à la production de maïs-grains et de soya, deux productions destinées à nourrir des porcs qu’on exporte en grande partie.

Est-ce bien cela qu’on appelle le garde-manger des Québécois ? Si c’est le cas, plusieurs tablettes sont vides !

Le manque de diversité de notre agriculture est frappant. Nonobstant les limites climatiques qu’impose notre nordicité, notre agriculture pourrait contribuer bien davantage à notre alimentation. Le blé panifiable, celui qu’on consomme tous les jours sous forme de pain, de pâtisseries ou de viennoiseries, nous l’achetons de l’extérieur à plus de 90 %. Pourtant, il y a moins d’un siècle on en produisait partout.

Les légumineuses, haricots, pois, lentilles, toute une gamme de produits qu’on propose de plus en plus comme substituts aux protéines animales. Le Québec n’a pas encore pris ce virage. Le chanvre, plante aux nombreux usages alimentaires et industriels, offre un potentiel intéressant et est également bien adapté à notre climat et à nos sols. Tout cela (et bien d’autres options) a reçu très peu d’intérêt de la part de nos instances politiques. Il y a bien quelques agriculteurs avant-gardistes qui optent pour ces productions dites nouvelles, mais ils reçoivent peu d’appui dans leur démarche, que ce soit sur le plan technique ou sur le plan financier.

Alors que débutent les travaux devant mener à une nouvelle version de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles adoptée il y a 45 ans, l’Institut Jean-Garon compte beaucoup sur les trois études préliminaires devant porter respectivement sur l’état de notre territoire agricole, sur l’occupation de ce territoire et sur la propriété de celui-ci, pour que s’impose auprès de nos élus l’obligation de revoir nos politiques agricoles avec l’objectif de mettre en valeur l’ensemble de notre territoire agricole par une diversité de productions.

Le portrait actuel de notre agriculture n’est pas le fruit du hasard ou des signaux du marché, il est largement le résultat des politiques gouvernementales mises en place dans les années 1970 et 1980 et qui n’ont jamais été véritablement revues depuis. Les sommes faramineuses consacrées à soutenir le porc et le maïs-grain au cours de cette longue période sont le plus bel exemple de politiques qui ont privilégié quelques productions au détriment de la diversité et des régions et qu’on n’a jamais revues, et dont on n’a pas évalué l’impact non plus.

Déjà, il y a 15 ans, le rapport Pronovost portant sur l’avenir de l’agriculture du Québec proposait une diversification de notre modèle agricole et une remise en valeur de notre territoire. L’exercice actuel en sera-t-il enfin le début ?

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