Rentrer à vélo au royaume des chars et de l’efficacité

« Le char est encore considéré comme un mode de transport incontournable, incontournable dans nos modes de vie où l’efficacité et le confort individuel triomphent », écrit l’autrice.
Valerian Mazataud archives Le Devoir « Le char est encore considéré comme un mode de transport incontournable, incontournable dans nos modes de vie où l’efficacité et le confort individuel triomphent », écrit l’autrice.

Pour plusieurs, la rentrée est déjà bien entamée, on l’entend en allumant la radio ; les voix habituelles ont repris le contrôle des ondes. Et on l’observe en se promenant dans les rues ; la circulation y est plus dense. Plus de monde circule à vélo, notamment sur la piste cyclable Bellechasse que j’emprunte avec bonheur tous les matins en compagnie de mes enfants. Elle est large et à sens unique, on s’y sent en sécurité, à l’abri des voitures qui se sont aussi multipliées et qui ont pris de l’expansion comme si la possession d’un véhicule utilitaire sport (VUS) symbolisait le gros bon sens.

Après être allée reconduire les enfants, je dois parfois continuer ma route jusqu’au bureau ou vers des lieux de rencontre. Ce qui signifie me rendre à Laval. Je dois pédaler plus ou moins 20 kilomètres pour m’y rendre. C’est un peu long, mais c’est le moyen de transport que je préfère et qui est le plus respectueux de l’environnement. Je ne suis pas naïve, je sais que ce geste individuel ne vaut rien face à l’inertie gouvernementale et aux comportements des ultrariches. Mais j’aime la nature et la cohérence.

Je me sens cependant bien seule dans les rues de Laval, et j’expérimente divers désagréments qui me rendent amère et qui attisent ma haine des véhicules à moteur. Tous mes collègues se déplacent en voiture : l’employeur exige que nous en possédions une afin de maximiser nos déplacements sur le territoire où les autobus et pistes cyclables se font rares. La voiture permet aussi de rentabiliser notre temps ; on peut rendre des appels et même participer à une rencontre Teams en route pour aller chercher les enfants.

Non sans culpabilité, je refuse ce diktat de l’efficacité, préférant sentir le contact du vent, de la chaleur et du froid, préférant faire partie de la nature. Mes collègues se font rembourser leurs kilométrages, mais aucune case n’est prévue pour l’entretien de mon vélo ou le paiement de titres de transport collectif.

Mes collègues peuvent tourner à droite au feu rouge ; je dois descendre de mon vélo et appuyer sur un bouton afin que le piéton blanc daigne apparaître après de longues secondes. Mes collègues disposent d’un grand stationnement ; je dois souvent chercher un endroit où barrer mon vélo. Je dois aussi faire des détours si je veux me sentir en sécurité sur une piste cyclable et je risque de me faire klaxonner par des automobilistes qui refusent le partage de la route.

Bref, les structures organisationnelles et urbanistiques minent mon expérience et constituent des freins à l’adoption de modes de transport différents. Le char est encore considéré comme un mode de transport incontournable, incontournable dans nos modes de vie où l’efficacité et le confort individuel triomphent. Incontournable dans nos villes où la mauvaise qualité de l’air exige que l’on se protège du dehors, de la nature que l’on détruit paradoxalement comme si nous en étions indépendants.

En souhaitant que la nouvelle passion du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie Pierre Fitzgibbon se traduise en changements concrets et structurels, je vous souhaite une rentrée rebelle à vélo ou en transport collectif !

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