Je ne suis pas fière de mon Québec, M. Legault

La pauvreté fait des ravages et continue à détruire chaque jour, un peu plus de vies, observe l’autrice.
Annik MH De Carufel archives Le Devoir La pauvreté fait des ravages et continue à détruire chaque jour, un peu plus de vies, observe l’autrice.

Dans le monde réel, si je ne fais pas bien mon travail, je suis congédiée. On ne me donnera certainement pas une augmentation de salaire. Alors, que dire d’Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique, et du cafouillage à la Société de l’assurance automobile du Québec ? Que dire de Pierre Dufour, député d’Abitibi-Est, et de sa honteuse sortie au sujet de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec ? Que dire de Bernard Drainville, ministre de l’Éducation, et de sa légèreté face aux enjeux de terrains ? Que dire des promesses rompues ?

Bref, cette liste pourrait s’allonger, entre les problèmes d’itinérance et de logement, l’attente pour obtenir des soins de santé, l’attente au Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ), l’absence de soins à domicile, le manque d’amour dont souffrent les CHSLD et la fermeture des ressources intermédiaires existantes, les urgences climatiques, et le manque de main-d’oeuvre dans le secteur public pendant qu’on investit massivement pour créer des « jobs payantes » dans le secteur privé.

Les projets de loi qui seront présentés à la rentrée seront non seulement conséquents, mais semblent vouloir créer des structures responsables de la gestion de la santé ou encore du transport. Quant à monsieur Drainville, il veut se donner tous les pouvoirs, dont celui de congédier.

De prime abord, plusieurs personnes saluent la création d’agences qui s’occuperont de la gestion pendant que les ministres donneront les orientations. Cependant, non seulement il y aurait des coûts supplémentaires qu’engloutiront probablement des cadres gestionnaires cher payés, mais les ministres pourront dire, quand ça ira mal, que ce n’est pas leur faute. L’excuse de la pandémie a assez duré. Ainsi, les ministres pourront congédier pour rassurer l’opinion publique et faire comme si le gouvernement s’occupait du problème.

La Coalition avenir Québec (CAQ) qui, rappelons-le, d’après le suffrage universel, n’a pas eu la majorité des votes en 2022 (40,98 %), semble appliquer la logique du secteur privé à nos politiques publiques. Les ministres semblent devenir des copies de p.-d.g. qui dirigent, convoquent, congédient, orientent et rendent des comptes au Conseil des ministres, un simulacre de conseil d’administration. Pour le reste, on tente de dire ce que l’opinion publique veut entendre. Par les temps qui courent, on a grand besoin d’être rassurés. Notre papa national, François, sait bien faire ce travail.

Néanmoins, les investissements qui semblent vouloir se succéder pour développer la pépinière verte de notre super ministre Fitzgibbon ne régleront en aucun cas les problèmes de santé, de garderie, du DPJ, d’éducation, d’itinérance, de logement et, bien sûr, de l’adaptation aux changements climatiques. Ces usines, car il y en aura d’autres, consommeront beaucoup d’énergie, 24 h sur 24, et il faudra les alimenter. On leur fera des tarifs préférentiels pendant que les pauvres qui vivent souvent dans des logements mal isolés payeront le plein tarif. On déroule le tapis rouge aux géants américains avec fierté.

Pourtant, je ne suis pas fière de mon Québec. Je ne suis pas fière de la manière dont on traite les vieux. Je ne suis pas fière de l’attente pour accéder à des soins de santé. Je ne suis pas fière de constater que notre société tolère autant de misère humaine, tant de gens qui n’ont pas de toit et tant d’autres qui ne peuvent pas pourvoir à leurs besoins de base, soit bien manger, se loger, pouvoir acheter des produits d’hygiène et des médicaments, payer Hydro-Québec… Je ne suis pas fière de voir les files s’allonger devant les banques alimentaires. Je ne suis pas fière de constater que l’injustice sociale augmente proportionnellement au pouvoir de la CAQ, dont la priorité est de devenir aussi riche que l’Ontario.

Tout ce qui concerne le droit au respect de la dignité humaine de toutes et tous, inscrit à l’article 4 de la Charte québécoise des droits de la personne, le gouvernement semble vouloir s’en déresponsabiliser et préfère annoncer de belles « jobs payantes ». 152 millions de dollars investis par Québec pour 200 emplois, ça fait cher la « job payante » pour les contribuables. Pendant ce temps, la pauvreté fait des ravages et continue à détruire chaque jour un peu plus de vies. Et en aucun cas, je ne peux me sentir fière de mon actuel Québec.

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