Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise… du logement!

Le logement social ne deviendra une réalité que lorsque les autorités prendront les mesures appropriées, fait valoir l’auteur.
iStock Le logement social ne deviendra une réalité que lorsque les autorités prendront les mesures appropriées, fait valoir l’auteur.

Si j’étais promoteur immobilier, je ferais comme bon nombre de mes collègues et je demeurerais sur les lignes de côté, sachant pertinemment que les règles du jeu sur le terrain vont bientôt tourner à mon avantage. La crise du logement, que je contribue à exacerber par mon inaction, constitue une occasion que je risquerais de ne pas avoir de nouveau durant ma carrière. Je serais d’accord avec Churchill : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. »

J’attendrais donc la mise en place de mesures que j’ai moi-même proposées à la ministre de l’Habitation, de qui j’ai une oreille attentive puisque nous sommes peut-être d’ex-partenaires d’affaires, voire des amis. En plus d’une aide financière dont je n’ai pas véritablement besoin, la ministre m’a confié qu’elle entend mettre au pas les méchantes villes et leurs méchants citoyens qui ne cessent de me mettre des bâtons dans les roues. De toute façon, la ministre laisse déjà couler une bonne partie de ses intentions dans les médias, c’est devenu un secret de polichinelle. J’aurai bientôt le champ libre pour réaliser des projets d’envergure à mes conditions, c’est-à-dire essentiellement des profits à la hauteur de ceux que je mérite.

J’aurais un petit pincement au coeur pour mes « pauvres » clients et amis du secteur de la construction, à qui je ne confie plus de contrats, pour l’instant. Leurs employés vont quand même survivre grâce à l’assurance-emploi et un peu de travail au noir. Entre-temps, on peut continuer à utiliser l’excuse générale de la pénurie de main-d’oeuvre pour justifier des prix exorbitants puisque tout le monde le fait. Avec un peu de chance et la collaboration des nouveaux variants, la COVID redeviendra une bonne excuse pour augmenter encore plus les prix juste au moment où je lancerai mes nouveaux projets.

La situation des pauvres gens qui souffrent de la crise du logement m’interpellerait vraiment (!). Mais je n’y peux rien si les gouvernements successifs l’ont ignorée pendant bien trop longtemps. La nouvelle ministre semble enfin nous écouter et nous comprendre, il était temps. Nous pourrons bientôt faire profiter la population de notre expertise et de notre savoir afin d’atténuer progressivement, le plus lentement possible en fait, les effets de la crise. On ne pourra pas, et on ne voudra pas non plus, faire disparaître cette crise fort profitable trop rapidement.

Vous aurez bien sûr compris que je ne suis pas promoteur immobilier et que je n’ai aucune intention de le devenir. La satire qui précède vise uniquement à démontrer que les solutions à la crise du logement ne viendront pas, comme le prétend la ministre France-Élaine Duranceau, du secteur privé, bien que je comprenne que celle-ci cherche d’abord à servir l’idéologie de son parti, et peut-être aussi les intérêts de ses amis. Le logement abordable, tel qu’il est défini dans les programmes de la Société d’habitation du Québec, ne l’est pas vraiment. Le logement social, celui dont les plus démunis ont véritablement besoin — et ceux-là sont très nombreux — ne deviendra une réalité que lorsque les autorités prendront les mesures appropriées, et ce, même si ces « clientèles » ne votent généralement pas « du bon bord », voire pas du tout.

Les villes, particulièrement les plus petites, et leurs citoyens, qui ne possèdent pratiquement aucun moyen pour freiner les ambitions des promoteurs immobiliers, risquent de devenir complètement démunis. L’aménagement du territoire, quant à lui, risque de relever uniquement du bon vouloir des promoteurs au détriment des collectivités et du milieu naturel, ce qui est déjà malheureusement trop souvent le cas. De grâce, pour une fois, essayons de ne pas résoudre une crise en en créant une nouvelle.

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