François Legault et l’art de gouverner sur Facebook

Une portion non négligeable de la population québécoise n’a pas de page Facebook, souligne l’autrice.
Olivier Zuida Le Devoir Une portion non négligeable de la population québécoise n’a pas de page Facebook, souligne l’autrice.

Le premier ministre du Québec, François Legault, a pris la vilaine habitude de publier des messages sur sa page Facebook. Il l’a fait encore dimanche en riposte aux « attaques de Gabriel Nadeau-Dubois et Paul St-Pierre Plamondon » pour défendre son bilan économique. Portant tantôt sur ses coups de coeur littéraires, tantôt sur quelques crottes restées sur son coeur, les missives sociopolitiques de M. Legault sont forcément d’intérêt public — il s’agit bel et bien, après tout, de « [n]otre premier ministre ».

Tel un rituel dominical ou un efficace exercice de communication « provinciale », notre premier ministre s’adresse ainsi à la nation. De cette façon, il peut parler directement au peuple québécois — du moins, aux citoyens qui sont sur Facebook, entre autres, plus spécialement à ses quelque 653 000 « abonnés » qui le suivent religieusement, lui rappelant sans cesse à quel point il est « le plus meilleur » premier ministre du Québec. On se calme, tout le monde.

Cette efficace tactique de communication lui épargne également la contraignante tribune parlementaire. Il évite ainsi qu’un journaliste ait le malheur de lui poser une question et « pollue » son message.

Plus important encore, le premier ministre Legault prend également d’importantes décisions à partir de ses messages reçus sur Facebook. Durant la campagne électorale de 2018, confiait-il dans sa publication de dimanche dernier, François Legault, comme beaucoup d’internautes plus âgés, consultait sa page Facebook tous les jours : « Chaque jour dans mon autobus de campagne [en 2018] je regardais les commentaires sur mon Facebook. Et plus ça allait, plus il y avait de messages de personnes âgées qui me disaient : “on est avec vous, on vous appuie, mais oubliez-nous pas.” Ces personnes âgées me racontaient à quel point elles avaient de la misère à arriver. Les histoires qu’on me racontait, ça m’a remué. »

Bon fils aîné à maman, ayant « réussi » dans la vie, François Legault a toujours fait preuve de beaucoup d’empathie pour les « milliers de mères comme la [s]ienne un peu partout au Québec », de même que pour les personnes âgées en général qui ont « de la misère à arriver ». Mais est-ce aussi vrai pour tous les autres ?

Le premier ministre du Québec, François Legault, éprouve-t-il cette même compassion pour les pauvres, les démunis, les sans-abri, les gens qui en arrachent cruellement dans la vie, et tous ceux qui survivent dans la misère humaine au quotidien, tant dans les rues de Montréal qu’ailleurs au Québec ?

Les voit-il, d’ailleurs ? Les entend-il, ceux-là ? Côtoie-t-il ces personnes à l’occasion — même si elles ne ressemblent pas à sa mère ? Sait-il au moins qu’ils existent, ces « moins riches » du Québec ? (Notons au passage que M. Legault ne parle jamais des pauvres au Québec, mais bien des « moins riches », car notre premier ministre n’en a rien à faire, en réalité, des indigents et des prolétaires.)

Or, âgées ou pas, plusieurs personnes qui peinent à joindre les deux bouts, voire ne mangent pas à leur faim au Québec, ne sont simplement pas sur Facebook. Ces gens ne peuvent donc pas « remuer » directement le premier ministre du Québec avec leurs histoires personnelles et ainsi influencer ses décisions politiques.

De fait, une portion non négligeable de la population québécoise n’a pas de page Facebook et ne veut rien savoir de ce réseau social qui mine la vie des gens et la démocratie dans plusieurs pays. Plusieurs jeunes (et de moins jeunes) ne sont pas sur Facebook. Beaucoup de pauvres aussi, ainsi que des démunis, des sans-abri, des citoyens de la classe « très moyenne », des familles, et plein d’autres encore ne sont pas sur Facebook.

Mais heureusement, on peut compter sur des journalistes et des médias traditionnels pour nous rapporter les bonnes nouvelles de notre PM. On peut ainsi lire ses messages publiés sur Facebook, de même que ses témoignages très personnels, photo à l’appui, rappelant ses souvenirs infantiles et ses origines « modestes », durant sa tendre enfance, assis, tout propre, sur le divan, juste avant un match de hockey à la télé. C’est de toute beauté.

Étrangement, c’est grâce aux journaux et aux médias traditionnels qu’on peut lire et savoir tout ça, ces mêmes journaux et médias en crise depuis des années, qui se font crânement gruger leurs revenus publicitaires par Facebook, Google et les autres, et qui risquent fort bien de disparaître. C’est le monde à l’envers. Quelle époque, tout de même !

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