Ces quartiers tranquilles où la violence conjugale n’existe pas

Les études sur la violence conjugale nous indiquent qu’il s’agit d’une problématique qui se produit indépendamment des milieux socio-économiques et de la culture, précisent les auteurs.
Pedro Ruiz archives Le Devoir Les études sur la violence conjugale nous indiquent qu’il s’agit d’une problématique qui se produit indépendamment des milieux socio-économiques et de la culture, précisent les auteurs.

Nous venons d’apprendre que deux enfants auraient été tués par leur père dans Lanaudière. Chaque fois, ces tragédies ébranlent le Québec et suscitent plusieurs questions sur les motifs de l’agresseur et sur ce qui aurait pu être fait pour prévenir cette histoire d’horreur. Le public cherche à comprendre l’incompréhensible. De leur côté, les médias tentent, tant bien que mal, d’aller trouver des réponses, en espérant entre autres que les voisins pourront leur fournir des informations privilégiées.

Bien que cette pratique ne pose pas problème en soi, nous souhaitons remettre en question la tendance qu’ont les médias à rapporter la surprise du voisinage lorsqu’un homicide conjugal ou familial se produit dans leur quartier « tranquille » ou « paisible », soit dans un milieu où la violence n’existerait pas. Si ces propos peuvent paraître banals en apparence, ils sont néanmoins porteurs d’un préjugé encore bien ancré dans la population, soit que la violence faite aux femmes et aux enfants se manifeste dans certains quartiers, mais pas dans d’autres.

La violence conjugale… pas dans mon quartier !

Dès le début des années 1970, lorsque les premières maisons pour femmes victimes de violence conjugale ont vu le jour, certains voisins voyaient d’un mauvais oeil l’arrivée de « femmes battues » dans leur quartier. Les pionnières de ces ressources ont ainsi dû sensibiliser la population au fait que les « femmes battues » existaient déjà dans leur milieu, derrière les portes closes et à l’abri des regards.

Ainsi, cette vision limitée de la violence conjugale comme étant un phénomène se manifestant uniquement dans certains quartiers n’est pas nouvelle. Mais que sous-tend cette croyance ? Que la violence conjugale est l’apanage de certains groupes sociaux, entre autres les personnes moins nanties vivant dans des milieux populaires ou défavorisés.

Les études sur la violence conjugale nous indiquent toutefois qu’il s’agit d’une problématique qui se produit indépendamment des milieux socio-économiques et de la culture. Elle est donc présente dans tous les quartiers. La seule nuance qu’il convient d’apporter est que les policiers interviennent plus fréquemment dans certains milieux, à cause de la proximité entre voisins.

Concrètement, ils risquent davantage d’être interpellés par le voisin d’un homme qui violente sa conjointe ou ses enfants dans un appartement mal insonorisé, alors qu’un homme qui commet des gestes similaires dans une maison spacieuse, éloignée des voisins les plus proches peut davantage agir en toute impunité.

Demeurer vigilants

 

Nous aimerions encourager les médias à revoir cette pratique qui consiste à mettre en avant la thèse du quartier tranquille lorsque se produisent des homicides conjugaux ou familiaux. Par ailleurs, pourquoi même interroger les voisins après de tels drames ? Sauf dans de rares circonstances, les voisins ne sont généralement pas au fait de ce que peuvent subir une femme et ses enfants derrière les portes closes. Le fait de rapporter la consternation du voisinage ne nous dit absolument rien sur le contrôle, la terreur ou les menaces que peut infliger un agresseur à ses victimes au quotidien.

En terminant, nous aimerions également inviter le public à faire preuve de vigilance lorsqu’il attribue les homicides conjugaux ou familiaux à un certain profil d’homme qui ne vit pas dans son quartier « paisible ». Véhiculer de tels préjugés peut avoir comme effet pervers de passer à côté de situations qui auraient pu être prévenues, ce qui nuit ultimement aux femmes et aux enfants, que la société se doit de protéger.

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