Les bienfaits d’Instagram en santé mentale

Isabelle Delorme
Collaboration spéciale
Les résultats des analyses de la chercheuse Fanny Gravel-Patry mettent en lumière le développement d’un savoir expérientiel en ligne par les femmes et pour les femmes en santé mentale.
Photo: Getty Images Les résultats des analyses de la chercheuse Fanny Gravel-Patry mettent en lumière le développement d’un savoir expérientiel en ligne par les femmes et pour les femmes en santé mentale.

Ce texte fait partie du cahier spécial Recherche

Cela en surprendra plus d’un tant les effets délétères des réseaux sociaux sur la santé mentale sont dénoncés, notamment chez les jeunes. Mais une chercheuse de l’Université Concordia bouscule les idées reçues en dévoilant les bienfaits que peut avoir Instagram chez les femmes atteintes de troubles de santé mentale.

Fanny Gravel-Patry s’intéresse depuis plusieurs années aux réseaux sociaux. « J’ai effectué mon mémoire de maîtrise en histoire de l’art sur les images de la révolution verte iranienne de 2019, la première révolution médiatisée à travers les réseaux sociaux », raconte la candidate au doctorat en communication. Elle travaille également comme conseillère en promotion de la santé mentale à la filiale montréalaise de l’Association canadienne pour la santé mentale.

Elle s’est aussi intéressée aux images et aux récits de violence circulant sur Internet dans le contexte du mouvement #MeToo, ce qui l’a conduite à son sujet de thèse. « Beaucoup de femmes témoignaient de leur agression sexuelle sur les réseaux. Je me suis retrouvée sur des pages Instagram où plusieurs femmes essayaient de créer des espaces plus sains pour se protéger de ces récits parfois difficiles à entendre », raconte celle qui a aussi utilisé personnellement Instagram dans une perspective de soin et d’information pour son trouble anxieux et sa dépression. « La convergence de tous ces éléments m’a poussée à vouloir comprendre ce que les espaces, les contenus informatifs et les visuels sur Instagram apportent aux femmes », explique-t-elle.

Un outil supplémentaire

En plein confinement, Fanny Gravel-Patry a interviewé 22 femmes de 20 à 45 ans aux prises avec des problèmes de santé mentale sur leur utilisation d’Instagram. « Leur consommation de contenus en ligne est souvent vue comme passive dans les études sur les réseaux sociaux et l’on tend moins à voir qu’il y a une action, un désir et des émotions qui y sont liés », constate-t-elle. Les participantes vivaient avec des problèmes de santé mentale divers : des troubles alimentaires ou anxieux, de la dépression ou encore le trouble de la personnalité limite. Elles ont également rempli un questionnaire détaillant leurs pratiques sur Instagram et ont décrit en temps réel leurs émotions en naviguant sur ce réseau social pendant l’entrevue.

La chercheuse a constaté qu’Instagram est devenu, pour ces femmes, un outil supplémentaire pour vivre avec la maladie mentale. « On le voit souvent comme un élément déclencheur de symptômes ou qui produit des problèmes de santé mentale. Mais dans le cas de mes participantes, il peut devenir un facteur de protection en créant du lien social et en donnant un accès à l’information », dit-elle. Elles y puisent un sentiment de communauté et de reconnaissance, des encouragements positifs, mais aussi de l’information dont l’importance est souvent minimisée dans le rétablissement en santé mentale : « Comprendre de manière théorique ce qui se passe dans notre tête peut aider à comprendre ce qui nous arrive », affirme-t-elle.

Un savoir expérientiel avec des écueils

Fanny Gravel-Patry, qui est à mi-parcours dans la rédaction de sa thèse, n’a pas été vraiment surprise par les résultats de ses analyses qui mettent en lumière le développement d’un savoir expérientiel en ligne par les femmes et pour les femmes en santé mentale. « Cela a confirmé ce que je ressentais en tant qu’individu, mais aussi mon observation d’un phénomène social qui est en train de se créer autour de la santé mentale et d’Instagram », dit-elle. Dans certains comptes québécois, comme Humain avant tout ou Dose de psy, « il n’est pas écrit noir sur blanc que les pages sont destinées aux femmes, mais le type de contenu offert (visuels, manière dont les messages sont présentés) vient davantage les chercher », estime Fanny Gravel-Patry.

L’importance du visuel et du design sur Instagram doit d’ailleurs amener les utilisatrices à manier ce réseau avec précaution. « Il y a une certaine esthétique derrière tous ces messages, qui est un peu standardisée. Il faut garder un oeil critique », recommande la doctorante, qui alerte également sur la vogue de la santé mentale. « C’est devenu un sujet à la mode. Tout le monde s’improvise expert en santé mentale au travail, par exemple, parce que c’est un sujet qui est beaucoup ressorti pendant la pandémie », lance celle qui observe que cet engouement s’accompagne d’une forme d’injonction. « On a beaucoup parlé du « self care » ces dernières années, avec l’idée qu’il faut se prendre soi-même en charge. Les communautés que j’ai étudiées font partie de ce phénomène social que nous sommes en train d’observer. »

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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