Louis-Joseph Papineau, Robert Nelson et l’idée de république au Québec

Les années 1830 entraînent plusieurs politiciens sur la voie républicaine, dont le chef du Parti patriote, Louis-Joseph Papineau (1786-1871), et le député Robert Nelson (1793-1873).
Illustration: Tiffet Les années 1830 entraînent plusieurs politiciens sur la voie républicaine, dont le chef du Parti patriote, Louis-Joseph Papineau (1786-1871), et le député Robert Nelson (1793-1873).

Une fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés d’histoire le défi de décrypter un thème d’actualité à partir d’une comparaison avec un événement ou un personnage historique.

En septembre 2022, le décès de la reine Élisabeth II, monarque du Royaume-Uni, du Canada et de 13 autres pays, a entraîné nombre de remises en question quant à l’institution qu’elle représentait. Les élections québécoises d’octobre 2022, accompagnées d’une forte distorsion entre le vote populaire et les députations élues à l’Assemblée nationale, ont, elles aussi, entraîné leur lot d’interrogations quant à la forme de notre régime politique.

Ainsi, la question de l’appartenance du Canada et du Québec à la Couronne britannique et celle de notre système démocratique sont revenues dans l’actualité. Dans ce contexte, l’idée républicaine — qui nous débarrasserait de la monarchie et bonifierait la souveraineté populaire — a ressurgi. Le projet n’est pas nouveau et revient fréquemment au coeur des discussions depuis deux siècles. Retour sur une idée qui a fait rêver, et qui a toujours de l’avenir.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Cercle des Lumières

Dès 1774, le Congrès continental américain appelle les Canadiens à former leur propre corps de représentants et à se joindre au projet d’émancipation des colonies nord-américaines. Malgré le peu d’écho que suscite cet appel initial, l’idée républicaine pénètre peu à peu sur les rives du Saint-Laurent.

Dans les années 1780, un « cercle des Lumières » se forme à Montréal, animé par l’imprimeur Fleury Mesplet (1734-1794). On y trouve aussi Henry-Antoine Mézière (1771-1846), qui soutient la République française proclamée en septembre 1792. Mézière s’enflamme pour la cause et travaille à la diffusion des idées révolutionnaires ici, allant jusqu’à demander l’appui de la France pour libérer le peuple canadien du despotisme britannique. La population aussi s’active et divers mouvements de défiance envers la Couronne se produisent, notamment en 1794 et en 1796.

Quelques décennies plus tard, c’est grâce au Parti canadien, devenu en 1826 le Parti patriote, que les idées républicaines connaissent un nouveau souffle. Le parti, d’abord modéré, se radicalise face au refus obstiné de Londres d’octroyer plus de démocratie au Bas-Canada. En 1834, il présente à l’Assemblée législative ses 92 résolutions, dans lesquelles il exige une réforme gouvernementale afin que les conseils législatif et exécutif soient élus, et que l’ensemble du gouvernement soit tenu responsable de ses actes devant la population.

La résolution 42 stipule que le peuple désire « rendre ses institutions extrêmement populaires » et que « cela est sage, cela est excellent ». Ne pas respecter ces demandes pourrait pousser les Canadiens à imiter les révolutionnaires américains, ce que laissent entendre les résolutions malgré le rappel de la fidélité du Bas-Canada envers la Couronne.

En mars 1837, Londres double ses torts d’un affront : les demandes démocratiques des patriotes sont rejetées et l’Assemblée législative perd son droit de regard sur les finances de la province.

Voie républicaine

Les tumultueuses années 1830 entraînent plusieurs politiciens sur la voie républicaine, dont le chef du Parti patriote, Louis-Joseph Papineau (1786-1871), et le député Robert Nelson (1793-1873). Tous deux, face au déni de démocratie de l’Empire britannique, en viennent à promouvoir la république comme seul régime capable de faire valoir la souveraineté populaire au Bas-Canada. Deux objectifs les animent : substituer au régime britannique une démocratie et instaurer une égalité des citoyens devant la loi.

En mai 1837, dans son discours à Saint-Laurent, Papineau parle de la République américaine comme de « la structure de gouvernement la plus parfaite que le génie et la vertu aient encore élevée pour le bonheur de l’homme en société ». Il semble que pour lui, le temps des colonies soit révolu : « Qui dit colonie, dit pillage et insolence chez les gouvernants, abaissement et pénurie chez les gouvernés. » S’il affirme du bout des lèvres qu’une union entre la Couronne et les Canadas est encore possible, comment l’envisager sérieusement ?

Les patriotes et le peuple aspirent à un gouvernement démocratique et responsable qui semble inconciliable avec un exécutif aristocratique s’attribuant de larges prérogatives, dont la nomination des conseils et le veto sur les lois votées à l’Assemblée. De fait, « les aristocraties contre nature de la naissance, de l’argent, de la bassesse intrigante » seront tenues pour des ennemies si elles tentent de décider du sort et des intérêts des Canadiens.

Le 15 juin, les autorités britanniques interdisent les assemblées patriotes. La mobilisation ne s’arrête pas pour autant et les idées républicaines se diffusent, voire se radicalisent. Plusieurs leaders politiques et une grande partie de la population adoptent des positions antimonarchistes et antiseigneuriales, favorables à une réelle démocratie comprenant l’élection des pouvoirs législatif et exécutif, ainsi que l’égalité politique des citoyens.

Joignant le geste à la parole, les républicains animent les rébellions patriotes, qui voient plusieurs affrontements armés entre les milices canadiennes et l’armée britannique. En janvier 1838, les dirigeants patriotes en exil aux États-Unis décident l’instauration d’un gouvernement provisoire. Le 28 février, la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada est proclamée.

Puisque la Couronne a « pillé notre trésor », établi « le règne le plus atroce de la terreur » et violé « nos droits les plus chers », elle déclare que le Bas-Canada « est absous de toute allégeance à la Grande-Bretagne » et qu’il « doit prendre la forme d’un gouvernement républicain et se déclare maintenant, de fait, république ».

Robert Nelson, rédacteur de la Déclaration et nouveau président de cette république, poursuit : « Tous les citoyens auront les mêmes droits », y compris les personnes autochtones. Le texte proclame la dissociation totale entre l’État et l’Église, ainsi que la liberté de culte, et supprime les droits seigneuriaux. De plus, la « liberté pleine et entière de la presse » et « l’éducation publique et générale » sont promulguées. Enfin, la nationalisation des terres de la Couronne et des réserves du clergé est prévue.

Clairement inspirée par la Révolution française, cette déclaration doit être suivie par l’élection au suffrage universel masculin d’une convention qui établira une constitution républicaine. Malheureusement, les défaites des patriotes à Lacolle puis à Odelltown, en novembre 1838, en décident autrement.

Le mouvement d’insurrection est défait, plusieurs chefs sont arrêtés, les autres sont forcés à l’exil. Robert Nelson, découragé, abandonne la politique et retourne à sa pratique médicale, s’installant définitivement aux États-Unis.

L’horizon d’un gouvernement populaire

Malgré l’échec des projets de Papineau et de Nelson, comment ne pas trouver dans leurs idées une certaine noblesse et une inspiration ? Le 24 octobre 1837, Papineau déclare qu’il faut « un systèmede gouvernement entièrement dépendant du peuple et qui lui soit directement responsable ». Lui et Nelson défendent une véritable participation citoyenne à la vie publique, une égalité en droits, la possibilité de contrôler la vie politique par l’entremise du pouvoir législatif, la responsabilité de tous les représentants et plus largement l’affirmation de la souveraineté populaire. Si le modèle américain sur lequel s’appuyait Papineau est de nos jours bien terni, qu’en est-il du projet de Nelson ?

Face aux impasses politiques actuelles, il semble que l’esprit qui animait la Déclaration d’indépendance de 1838 puisse toujours nous inspirer. N’est-il pas temps de rompre avec l’inique monarchie britannique, qui reste non seulement un fardeau financier pour les citoyens, mais qui bloque aussi, en dernière instance, notre action souveraine ? Dans le sens de Nelson, pouvons-nous instaurer des rapports égaux avec les personnes autochtones, de nation souveraine à nation souveraine ?

Si nous sommes sérieux dans notre projet de séparer l’État et l’Église, n’est-il pas temps de mettre fin aux avantages fiscaux accordés aux organisations religieuses ? Enfin, il semble nécessaire d’offrir une même éducation de qualité à l’ensemble des citoyens, si nous désirons que toutes et tous soient outillés adéquatement pour participer à la vie politique et sociale.

Alors que la monarchie britannique est de plus en plus remise en cause au Canada et au Québec, et que le caractère démocratique de nos institutions fait défaut, le projet républicain issu de la Révolution française et porté par Robert Nelson offre des pistes de solution. L’instauration d’une république permettrait un réel contrôle des institutions par la population et ouvrirait la porte à une démocratie bonifiée.

En effet, une éducation égalitaire, ainsi que des réformes institutionnelles augmentant la représentation de chaque vote et instaurant des structures participatives sont à même de transformer positivement notre rapport à la vie politique. Ces idées — portées par les patriotes, Arthur Buies, Éva Circé-Côté ou encore Pierre Bourgault — peuvent servir d’amorce à l’instauration d’une authentique démocratie.

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