L’informateur au «procès secret» réclame 5,8 millions en dommages

La poursuite est liée au procès secret au cours duquel l’informateur ou l’informatrice a été reconnu coupable de participation à un crime que cette personne avait elle-même révélé à la police.
Annik MH de Carufel archives Le Devoir La poursuite est liée au procès secret au cours duquel l’informateur ou l’informatrice a été reconnu coupable de participation à un crime que cette personne avait elle-même révélé à la police.

L’informateur ou l’informatrice de police qui était au coeur du « procès secret » au Québec poursuit les autorités pour près de 5,8 millions $, affirmant que la police et un procureur ont miné la confiance dans le système qui protège ces collaborateurs.

Cet informateur anonyme, décrit dans la poursuite déposée le 28 août comme la « personne désignée », accuse les policiers d’avoir agi de mauvaise foi en revenant sur l’accord de collaboration convenu, puis de l’avoir fait chanter.

« En agissant ainsi, le service de police, les policiers impliqués et le poursuivant minent la confiance vis-à-vis le système judiciaire, ébranlent celle d’indicateurs de police passés, actuels et futurs, et ultimement, font lamentablement régresser l’efficacité de leur mission d’enrayer le crime », indique la poursuite.

La « personne désignée » et un autre plaignant, appelé « X », poursuivent la Couronne, le corps de police et trois policiers pour un total combiné d’au moins 5,8 millions $ en dommages-intérêts.

La poursuite, rapportée pour la première fois par le quotidien La Presse, est liée au procès secret au cours duquel l’informateur ou l’informatrice a été reconnu coupable de participation à un crime que cette personne avait elle-même révélé à la police.

L’existence de ce « procès fantôme » n’a été connue que parce que cette personne a fait appel de sa condamnation, plus tard annulée par la Cour d’appel, en mars 2022. Le plus haut tribunal du Québec avait alors vivement critiqué le plus grand secret qui a entouré le procès initial.

Les détails de ce procès sont toujours demeurés secrets, notamment la nature du crime et le lieu où il aurait été commis, de même que l’identité du juge, des avocats et des corps policiers impliqués dans cette affaire. Aucun numéro de dossier ne lui avait été attribué.

La sécurité de l’informateur

Selon la poursuite au civil, qui n’a pas subi l’épreuve du tribunal, la « personne désignée » avait été recrutée par les autorités pour devenir informateur parce qu’elle était liée à une « personne d’intérêt » pour la police. Le collaborateur a été payé pour ses informations fournies à la police, notamment pour un crime dans lequel l’informateur a reconnu son implication.

Après avoir d’abord ignoré le crime commis par l’informateur, la police a commencé à enquêter, mais n’en a pas informé le collaborateur, indique le document de la poursuite, alors que la police savait qu’en s’enquérant du crime, elle mettait en danger l’anonymat de l’informateur.

La police a ensuite unilatéralement mis fin à l’accord avec l’informateur – mais l’a rencontré une dernière fois pour lui soutirer plus de détails sur le crime, indique le document.

« Comble de l’insulte, le service de police contraint alors [la personne désignée] à un choix ubuesque : révéler sa collaboration avec le service de police en témoignant dans le cadre d’un procès public ou faire elle-même l’objet d’accusations criminelles », lit-on dans la poursuite.

L’informateur a refusé de témoigner publiquement et la police l’a finalement arrêté et accusé ; l’ancien collaborateur a finalement été reconnu coupable. Les accusations n’ont pas été rendues publiques.

« Tous les indicateurs deviennent à risque »

L’informateur a fait appel et a obtenu gain de cause : la Cour d’appel du Québec a suspendu la condamnation et les poursuites judiciaires, soulignant dans son jugement que le procès initial était « contraire aux principes fondamentaux » de la justice.

« Il s’agit d’un cas unique en droit canadien, qui va bien au-delà de la situation propre à » la personne désignée, indique le document de la poursuite en dommages. La conduite reprochée est préjudiciable à l’égard de tous les indicateurs de police […]. Tous deviennent à risque. »

Le ministre de la Justice du Québec a déjà déclaré que les procureurs de la province n’étaient pas impliqués dans l’affaire, suggérant que l’informateur avait été accusé par des procureurs fédéraux. Invité à commenter lundi, le Service des poursuites pénales du Canada a déclaré qu’il ne pouvait pas confirmer ou nier que cela faisait partie du procès initial.

Les avocats représentant les médias, le procureur général de la province et la juge en chef de la Cour du Québec ont demandé la divulgation partielle ou complète des informations dans le « procès fantôme ». Mais la Cour d’appel du Québec a statué en juillet 2022 que le droit des informateurs à l’anonymat l’emportait sur le principe qui veut que les procédures judiciaires soient publiques.

En mars dernier, la Cour suprême du Canada a accepté d’entendre l’appel des médias sur cette décision.

La « personne désignée » dans la poursuite au civil est représentée par Sebastian Pyzik et Charbel G. Abi-Saad, du cabinet Woods, l’un des plus connus au Canada. Le cabinet précise qu’il n’a pas été impliqué dans le volet criminel de l’affaire. Les avocats ont déclaré lundi qu’ils ne pouvaient pas accorder d’entrevue.

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